FAITS

Une société A (le mandant) fait appel à une autre B (l’agent) pour commercialiser ses produits en Russie et ce sans qu’aucun contrat écrit ne soit établi entre les parties.

Par la suite le mandant informe son agent qu’il met fin à leur relation qui représentait 90 % de ses ventes en Russie.

Estimant cette rupture abusive et génératrice d’un préjudice la société agent assigne son partenaire en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et de rupture.

La cour d’appel d’Angers le 26 mars 2019 le déboute au motif essentiel que ledit agent n’avait pas le pouvoir de négocier les prix avec ses interlocuteurs et qu’il ne s’agissait donc pas d’un contrat d’agent commercial.

L’agent se pourvoit en cassation sur ce seul motif.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Pour rejeter les demandes de la société [P], après avoir rappelé que c'est au regard des missions effectivement exécutées par cette dernière que devait être vérifié si elle était chargée de manière permanente de négocier et, éventuellement, de conclure les contrats au nom et pour le compte de la société [M], l'arrêt constate qu'il résulte des pièces examinées que la société [M] n'avait pas confié à la société [P] la négociation des contrats avec la société Luding, gardant la maîtrise et le contrôle de la détermination des conditions des contrats et, en particulier, des prix. L'arrêt retient que le fait que la société [M] ait pu demander à la société [P] de se faire remettre les contrats ou de les faire signer et les rapporter s'inscrit dans la mission de présentation des produits et de soutien des relations commerciales de la société [M], qui ne se confond pas avec une mission d'agent commercial telle que définie par la loi. L'arrêt ajoute que le fait que la société [P] ait assuré le suivi des livraisons et des paiements ne permet pas d'établir l'existence d'un contrat d'agent commercial, pas plus que le fait qu'elle ait amené les relations commerciales de la société [M] à se développer.
En statuant ainsi, en se fondant sur l'impossibilité de la société [P] de modifier les conditions des contrats, et en particulier les prix, la cour d'appel a violé le texte susvisé.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La Cour de cassation va puiser dans la jurisprudence européenne pour affirmer et confirmer la sienne.

Point n’est besoin d’un pouvoir de négociation pour qualifier le contrat d’agent commercial.

La Cour régulatrice cite l’arrêt de la CJUE en date du 4 juin 2020 ainsi que le fondement législatif à savoir l’article 1° paragraphe 2 de la directive 86/653/CEE qui dispose : « Aux fins de la présente directive, l'agent commercial est celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente , soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne , ci-après dénommée «commettant» , soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant… »

La CJUE est venue le 4 Juin 2020 préciser la question du pouvoir de négociation de l’agent et a ainsi dit pour droit que : « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».

La Cour de cassation a donc été contrainte de modifier sa jurisprudence pour prendre en compte celle de la CJUE et d’abandonner son interprétation restrictive du terme « négocier » employé par la directive. Voir sur ce point : Cassation commerciale 15 janvier 2008 – 06-14698, 20 janvier 2015 – 13-24231, 19 juin 2019 – 18-11727.

Elle l’a fait dans son arrêt fondateur du 2 décembre 2020 – 18-20231 – en des termes que la présente décision reprend presque mot pour mot.

Cet arrêt confirme donc une nouvelle jurisprudence française sur cette question de la qualification du contrat d’agent commercial.

Cela permet de se concentrer sur l’essentiel de la mission de l’agent à savoir développer la clientèle du mandant.

Ce pouvoir de négociation peut être intégré dans la relation contractuelle mais il ne s’agit pas de son ADN.

Il va donc falloir suivre de près la réaction des cours et tribunaux alors que quand la cour d’appel d’Angers avait statué le 26 Mars 2019 la cour régulatrice n’avait pas encore abandonné sa jurisprudence.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 12 mai 2021, pourvoi n°19-17042, publié au bulletin.