FAITS

Une société RF2A confie un marché de travaux à une société COBO pour un montant total de 383 057,27 € que cette société cède à sa banque par un bordereau Dailly d’un montant de 247 067,29 € seule créance exigible.

Par la suite deux autres créances du même marché sont cédées pour respectivement 16 867,43 € et 93 821,42 €.

La banque notifie au maitre d’ouvrage la somme de 383 057,27 €. Mise en demeure de payer sans réponse et assignation en paiement pour la somme de 110 688,85 € correspondant au total des dernières factures cédées.

Le maitre d’ouvrage est condamné au paiement par la cour d’appel de Montpellier en date du 14 Janvier 2020.

Il se pourvoit en cassation au motif que les créances devaient être individualisés dans le bordereau ce qu’elles n’étaient pas selon lui. La cour d’appel avait d’ailleurs répondu sur ce point en indiquant que le bordereau comprenait et identifiait la cession de la totalité du marché.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Pour accueillir la demande en paiement de la banque, l'arrêt retient que les énonciations du bordereau de créance du 16 octobre 2012 laissent conclure que le montant total cédé par la société COBO à la banque s'élevait à 383 057,27 euros, soit le montant global du marché signé selon devis du 10 mars 2011, et que la seule créance alors exigible en exécution de ce marché était celle correspondant à la facture LJ 851 « 1re situation » du 16 octobre 2012 pour un montant de 247 067,29 euros, constituant la créance proposée à la cession et retenue par le cessionnaire dans ce même bordereau, pour en déduire que celui-ci contient les éléments susceptibles d'effectuer la désignation ou l'individualisation de la créance, notamment par l'évaluation de la créance globale cédée et l'indication du débiteur, et que les deux actes de cession de créance ultérieurs en date des 30 novembre et 21 décembre 2012 s'inscrivent dans la cession de créance afférente au marché cédé.
En se déterminant ainsi, sans relever que le bordereau litigieux comportait, outre le montant global d'un marché de travaux et celui d'une facture alors exigible, les indications nécessaires à l'identification et à l'individualisation précises des créances cédées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Le contentieux de l’identification des créances cédées dans le cadre d’une mobilisation Dailly n’est pas très important mais il est récurent preuve que les choses ne sont pas encore parfaitement stabilisées.

Nous savons que la désignation du débiteur n’est pas une mention obligatoire du bordereau mais seulement un des « moyens alternatifs susceptibles de permettre aux parties d’effectuer l’identification des créances cédées… » Cassation commerciale 7 juin 2006 – 04-18211 – 1 février 2011 – 10-13595 – Cassation commerciale 6 juin 2018 – 16-18437 -

La cession des créances par transmission informatique, saluée par la pratique, a permis à la jurisprudence de rappeler les exigences en cette matière : Cassation commerciale 20 février 2007 – 05-20562 –

Nous savons également qu’un bordereau ne répondant pas aux exigences des articles  L 313-23 à L 313-34 du code monétaire et financier ne vaut pas comme bordereau de cession de créances professionnelles et perd tous les avantages qui lui sont attachés : Cassation commerciale 16 octobre 2007 – 06-14675 – L’irrégularité doit être constatée : Cassation commerciale 13 novembre 2003. Les chambres commerciale et civile sont sur la même ligne Cassation civile 1 8 juillet 2010 – 09-66989 – 09-67450 –

En ce qui concerne la preuve de la créance la production des factures n’est pas une condition exigée par la loi : CA CAEN 25 avril 2019  RG 17/01569 –

Il ne faut pas confondre le contrat cadre qui fréquemment lie les parties avec le bordereau de cession de créances professionnelles CA Toulouse  4 Novembre 2020  RG 19/00727 –

Les juges doivent par ailleurs parfaitement identifier la nature de la cession et distinguer ce qui appartient à l’affacturage et ce qui appartient à la cession Dailly  Cassation commerciale 20 janvier 2021 – 19-10493 –

En l’espèce la cour régulatrice a estimé que les créances n’étaient pas suffisamment individualisées et que le fait qu’elles soient, par définition, incluses dans la créance globale n’était pas suffisant.

L’article L 313-23 visé dans la décision dans sa rédaction antérieure à 2017 dispose en ce qui concerne notre problématique d’indentification des créances :

« … 4. La désignation ou l'individualisation des créances cédées ou données en nantissement ou des éléments susceptibles d'effectuer cette désignation ou cette individualisation, notamment par l'indication du débiteur, du lieu de paiement, du montant des créances ou de leur évaluation et, s'il y a lieu, de leur échéance. »

Le texte n’exigeant pas une individualisation très précise la cour de cassation casse en ces termes : «En se déterminant ainsi, sans relever que le bordereau litigieux comportait, outre le montant global d'un marché de travaux et celui d'une facture alors exigible, les indications nécessaires à l'identification et à l'individualisation précises des créances cédées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.»

Il appartiendra donc à la cour de Nîmes de se prononcer sur les éléments factuels de cette affaire.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. chambre commerciale, 19 janvier 2022, pourvoi n°20-14619. L'essentiel du droit bancaire n°3, mars 2022, page 3.