FAITS

Par exploit en date du 21 mars 2019, Madame [T] [D], agissant ès qualités de représentante légale de son fils mineur [P] [J], né le 4 juin 2001, a assigné devant le tribunal judiciaire de Bourges M. [K] [J], le père de l'enfant, et la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Loire-Centre, détentrice de ses divers comptes, aux fins de voir condamner principalement le premier à lui payer, ès qualités, la somme de 73.148,31 € au visa de l'article 1240 du code civil et, subsidiairement, la seconde en paiement de la même somme au visa des articles 383 et 389-5 du Code civil propres au régime de l'administration légale pure et simple.
Elle faisait valoir qu'en suite de sa séparation conflictuelle avec M. [K] [J] survenue le 25 décembre 2012, ce dernier aurait procédé au solde et à la clôture des comptes bancaires ouverts auprès de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Loire-Centre au nom de [P], leur fils mineur, et que la somme totale de 73.148,31€ aurait été retirée des comptes de [P] entre le 26 décembre 2012 et le 11 juin 2016.
[P] [J] a repris l'instance en son nom propre, ayant atteint sa majorité en cours de procédure, pour solliciter la condamnation solidaire de M. [K] [J] et de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Loire-Centre faisant valoir que cette dernière avait engagé sa responsabilité dans la mesure où les retraits litigieux auraient été opérés sans l'accord des deux parents que l'établissement bancaire devait, selon lui, nécessairement recueillir et aurait ainsi manqué à son devoir de vigilance en s'abstenant de faire obstacle à ces opérations.
Le tribunal judiciaire de Bourges a condamné la banque à payer la somme de 57097,44 € et a condamné le père à garantir le paiement des sommes auxquelles la banque a été condamnée.
La banque interjette appel.

POSITION DE LA COUR D’APPEL


La cour d’appel débute sa motivation par un rappel très didactique sur les limites de l’obligation de la banque dans la gestion des opérations initiées par son client: Le principe de non-ingérence y est fortement rappelé.
«Sur la responsabilité de la banque
Le banquier est soumis à une obligation de non-ingérence dans les affaires de ses clients. La jurisprudence apporte l'éclaircissement suivant : la non-ingérence signifie que le banquier n'est pas obligé d'intervenir pour empêcher son client d'accomplir un acte irrégulier, inopportun ou dangereux...»

Dans un deuxième temps elle rappelle avec la même précision les limites de ce principe à savoir la non-participation à des opérations manifestement illicites.
«Un tempérament existe toutefois puisqu'en effet, le banquier ne saurait se retrancher derrière le principe de non-ingérence dans les affaires du client pour tenter de justifier qu'il n'aurait pas accompli ou mal accompli des obligations mises à sa charge par le législateur.....»

Enfin elle applique ces principes au cas d’espèce en rappelant la dichotomie voulue par le législateur pour les opérations effectuées sur le compte d’un mineur entre les opérations d’administration et celles de disposition même si ce critère n’est pas toujours très aisé à appliquer.
«Les règles suivantes sont applicables :
Selon l'article 382-1du code civil dans sa version applicable, lorsque l'administration légale est exercée en commun par les deux parents, chacun d'eux est réputé, à l'égard des tiers, avoir reçu de l'autre le pouvoir de faire seul les actes d'administration portant sur le biens du mineur.
La liste des actes qui sont regardés comme des actes d'administration est définie dans les conditions de l'article 496.
L'article 496 du code civil prévoit que la liste des actes regardés comme des actes d'administration relatifs à la gestion courante du patrimoine et comme des actes de disposition qui engagent celui-ci de manière durable et substantielle est fixée par décret en Conseil d'Etat...»

La cour scinde les opérations entre celles qui ne sont que des actes d’administration et celles qui révèlent des actes de disposition.
Elle modère donc la condamnation des juges de première instance en ne retenant la responsabilité de la banque qu’à concurrence de la somme de 42822 soit les ¾ de la somme de condamnation initiale de 57097 €.
Par ailleurs elle condamne l’auteur des opérations ( en l’espèce le père) à garantir la banque à concurrence de 100 % du montant de la condamnation.

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION


Cette décision est dans la droite ligne des principes dégagés par la jurisprudence depuis des décennies sur cette problématique à savoir : principe de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client dont le négatif est la non-participation à des opérations manifestement illicites.

Sur ces deux points la jurisprudence est abondante et parfaitement lisible : Cassation commerciale 17 septembre 2013 – 12-20512 – Sur les anomalies intellectuelles voir Cassation 1 juillet 2003 -00-18650 –6 février 2007 – 05-14872 - 8 janvier 2015 – 13-20088 – Cassation commerciale 28 juin 2016 – 14-21256 – Cassation commerciale 12 Juillet 2017 – 15-27891 – Cassation commerciale 13 février 2019 – 17-28530 - Parfois la faute du client absorbe celle de la banque Cassation commerciale 10 juin 2008 – 07-15378 – Parfois non.
CA Amiens 24 septembre 2019 – RG 16/03763 -

La non-obligation de la part de la banque de suivre l’affectation des fonds prêtés sauf obligation légale ou contractuelle est un sous ensemble de cette obligation générique : CA Rennes Chambre B 18 Mars 2004.
Sur la question du fonctionnement d’un compte de mineur voir Cassation civile 1. 9 janvier 2008 – 05-21000 – ou d’un compte de majeur sous curatelle cassation civile 1. 28 janvier 2015 – 13-26363 – Cassation civile 1. 11 octobre 2017 – 15-24946 – CA Grenoble 14 janvier 2020 RG 18/00316 .
Dans notre espèce la cour motive abondamment.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Appel de Bourges, 9 juin 2022. RG 21/00671. LEDB N° 8 SEPTEMBRE 2022 PAGE 7