FAITS

Une banque consent un prêt destiné à l’acquisition d’un fonds de commerce garanti par un nantissement sur le fonds et par la caution de M et Mme E cogérants de la société.

La société est mise en redressement puis en liquidation judiciaire, le tribunal ordonnant la cession totale de la société au profit de M. M.

La banque délivre un commandement de payer aux fins de saisie vente aux cautions qui assignent la banque devant le JEX en annulation dudit commandement et en demandant à être déchargée de leur engagement de caution sur le fondement des articles 2314 du code civil et L. 642-12 du code de commerce.

La cour d’appel de Reims le 9 juin 2020 accueille leur demande et déboute la banque qui se pourvoit en cassation.

La cour d’appel a jugé que la banque ayant renoncé à son nantissement sous réserve d’être intégralement payée du solde des prêts alors qu’une autre offre prévoyait le paiement de toutes les mensualités du prêt sans renonciation au nantissement ; elle a fait perdre aux cautions, par son fait, le bénéfice de la subrogation de celles ci dans le nantissement.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Après avoir relevé que l'administrateur judiciaire avait présenté, à l'audience du tribunal de commerce, les trois offres de reprise proposées, et lui avait fourni l'attestation de la banque, aux termes de laquelle celle-ci acceptait de donner mainlevée du nantissement grevant le fonds de commerce à la condition d'être intégralement payée du solde des prêts (capital + intérêts) soit un montant de 146 946,38 euros, et que le dispositif du jugement indiquait : « La Banque Populaire ALC, aux termes d'un courrier en date du 25/08/2017, donne son acceptation au règlement immédiat et intégral des échéances des prêts, capital et intérêts, pour un montant global de 146 946,38 euros, dès que le prix de cession aura été versé entre les mains du liquidateur judiciaire, la SCP [J] [T] (Me [T]) à l'arrêté du plan. En contrepartie, la banque accepte de lever le nantissement du fonds de commerce », l'arrêt retient qu'il importe peu que les autres parties, notamment Mme [E], cogérante de la société, fussent favorables à cette offre de M. [C] à hauteur de 505 000 euros ou que le tribunal ait décidé d'arrêter le plan de cession totale de la société au profit de ce dernier au prix de 505 000 euros, dès lors que la banque a expressément, au vu du courrier cité par le tribunal, donné son accord pour renoncer au nantissement grevant le fonds de commerce, étant précisé que M. [C] avait formulé une offre avec deux options et que l'option non retenue prenait en compte le paiement des mensualités du prêt sans renonciation du créancier à son nantissement. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que le nantissement avait été perdu par le choix de la banque, faisant ainsi ressortir que cette perte était imputable au fait fautif exclusif du créancier.
L'arrêt constate ensuite, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que la banque n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'inefficacité de la subrogation au regard de la valeur réelle du fonds de commerce, faisant ainsi ressortir qu'en l'absence de justification par le créancier de la valeur du fonds, ce dernier ne démontrait pas que les droits perdus par son fait étaient d'un montant inférieur à celui des cautionnements.

En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a retenu que les cautions avaient perdu, par le fait du créancier, le nantissement sur le fonds de commerce dont elles auraient pu utilement bénéficier par voie de subrogation après la cession de la société et le paiement du solde de la dette, a légalement justifié sa décision.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La décision est abrupte et sévère pour les créanciers titulaires de sûretés de cette nature.

Nous savons l’ancien article 2314 très favorable à la protection des intérêts de la caution.

Le ton a été donné par l’arrêt de la chambre mixte en date du 10 juin 2005 -02-21296 – qui a jugé «  Attendu qu’en retenant que la banque avait renoncé au bénéfice du gage, la cour d’appel en a exactement déduit que la caution était déchargée de son obligation ».

La même chambre mixte, le 17 Novembre 2006 – 04-19123 – a jugé que le créancier qui dans le même temps se garantit par un cautionnement et constitue une sûreté provisoire s’oblige envers la caution à rendre cette sûreté définitive.

De même le créancier titulaire d’un privilège de prêteur de deniers s’engage envers la caution à inscrire son privilège – Cassation civile 1. 3 Avril 2007 – 06-12531.

La jurisprudence va même, parfois, jusqu’à reprocher au créancier de ne pas avoir pris l’initiative de telle ou telle procédure (d’ordre en l’espèce) : CA Metz 1ere chambre 1 mars 2007.

Par contre, l’article 2314 ne permet de sanctionner qu’un créancier qui est susceptible d’agir  ce qui n’est pas toujours le cas d’un créancier gagiste d’un redressement judiciaire : Cassation commerciale 17 février 2009 – 07-20458.

Il faut bien évidemment que la garantie existe au moment du cautionnement : Cassation commerciale 16 Novembre 2010 – 09-72897.

Le fait du créancier doit être exclusif : Cassation commerciale 15 février 2011 – 08-70303 – 3 juillet 2012 – 11-21831.

Cet article profite à toutes les cautions qu’elles soient simples ou solidaires : Cassation commerciale 9 Avril 2013 – 12-14596.

Il faut que la caution bénéficie d’un droit particulier : Cassation chambre mixte 27 février 2015 – 13-13709 – en matière de cession Dailly voir Cassation commerciale 2 Novembre 2016 – 15-12491 – en matière d’attribution judiciaire du gage voir Cassation commerciale 8 Mars 2017 – 14-29819.

Il appartient au créancier de prouver que la perte du droit préférentiel dont se plaint la caution n’a causé aucun préjudice à celle ci : Cassation commerciale 8 Avril 2015 - 13-22969. Par contre, le créancier est en principe libre de choisir l’exécution qui lui semble la plus appropriée quand il bénéficie notamment de plusieurs garanties : Cassation commerciale 11 Avril 2018 – 16-27947 – ce que la nouvelle rédaction de l’article 2314 officialise « … La caution ne peut reprocher au créancier son choix de mode de réalisation d’une sureté ».

Par contre ne pas mettre en mouvement son droit d’opposition à fusion reconnu par l’article L. 236-14 du code de commerce est susceptible d’engager la responsabilité du créancier : Cassation commerciale 23 septembre 2020 – 19-13378.

Il faut bien sur que la preuve du préjudice soit rapportée : Cassation commerciale 9 octobre 2019 – 18-12813.

Dans notre espèce la haute Cour reproche au créancier d’avoir choisi la solution qui entrainait la perte du nantissement et ce même si la caution- également dirigeante – avait participé à l’audience et même si la levée en elle même du nantissement résulte de la décision du tribunal.

La décision est abrupte mais dans la ligne jurisprudentielle.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 20 octobre 2021, pourvoi n°20-16980, publié au bulletin, L’essentiel du droit bancaire n°11 décembre 2021, page 6.