FAITS

Ils sont relativement classiques en cette matière. Une commande, en l’espèce d’une cuisine, pour une somme de 13 710 €. Un chèque d’acompte de 3170 €. Le solde soit 10 000 € est réglé quelques jours avant la livraison de ladite cuisine.

Le chèque est remis au paiement près d’un an après son émission. A sa présentation au paiement il est rejeté au motif « opposition ».

Malgré des mises en demeure, la cuisine n’est toujours pas réglée.

Les parties se retrouvent devant le juge de proximité qui par jugement en date du 10 septembre 2020 condamne le client à payer à la société la somme de 10 000 € au visa de l’article 1240 du code civil arguant du caractère frauduleux de l’opposition.

Il interjette appel aux motifs de la prescription de l’article L 218-2 du code de la consommation et non pas celle quinquennale comme l’a appliqué le tribunal et par ailleurs invoque le non respect du délai pour demander la mainlevé d’une opposition.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« En vertu de l'article L131-35 du code monétaire et financier il n'est admis d'opposition au paiement par chèque qu'en cas de perte, de vol, utilisation frauduleuse du chèque, de procédure de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire du porteur...Si malgré cette défense, le tireur fait opposition pour d'autre cause, le juge des référés, même dans le cas où l'instance principale est engagée, doit, sur la demande du porteur, ordonner la mainlevée de l'opposition. L'action doit être intentée dans le délai d'un an à compter de l'expiration du délai de présentation du chèque.

En l'espèce, Monsieur B., qui n'avait nullement perdu le chèque qu'il a émis en paiement du solde du prix de la cuisine et qu'il a volontairement remis à la société E., a incontestablement commis une faute civile et pénale en formant une opposition à son paiement pour cette cause.

Pour autant , il appartient à la société E., qui a par ailleurs laissé prescrire l'action en principal dont elle disposait en recouvrement de sa créance contractuelle, d'établir que le préjudice est en lien de causalité direct avec l'opposition fautive au paiement de ce chèque opéré par Monsieur B..

En l'espèce, le préjudice dont peut se prévaloir la société E., résultant directement de l'opposition frauduleuse au paiement du chèque de 10.000 €, ne peut consister qu'en la privation de la provision.

Or , la société, qui disposait de l'action prévue à l'article L131-35 du code monétaire et financier en cas d'opposition pour d'autres causes que la perte, le vol, l'obligation frauduleuse, ou l'ouverture d'une procédure collective du porteur, n'a pas saisi le juge des référés d'une demande de main levée de l'opposition qu'elle savait frauduleuse, de sorte qu'à l'expiration d'un délai d'un an et huit jours ouvert pour exercer ladite action, la banque a pu légalement débloquer la provision du chèque.

Il résulte de ces énonciations, que tant la faute commise par Monsieur B., qui a formé déloyalement une opposition qu'il savait frauduleuse, que la faute de négligence de la société E., qui n'a pas engagé l'action de l'article L131-35 du code monétaire et financier susvisé, ont concouru au dommage, de sorte que les responsabilités seront partagées par moitié entre les parties.

Par conséquent, si le préjudice peut bien être évalué à 10.000 €, le jugement sera infirmé en ce que la part de responsabilité revenant à Monsieur B. sera évaluée à 5 000 € ».

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La cour d’appel reproche au demandeur d’avoir été négligent dans la mise en mouvement de son action devant le juge de proximité et le sanctionne par la prescription de son action et de n’avoir pas effectué sa demande de mainlevée en temps et en heure.

C’est cette question de la mainlevée d’une opposition qui retiendra notre attention.

Il ne peut être admis d’opposition au paiement d’un chèque que dans les cas limitativement énumérés par le législateur à l’article L 131-35 du code monétaire et financier : Il s’agit de la perte, du vol, de l’utilisation frauduleuse du chèque de la sauvegarde du redressement ou de la liquidation judiciaire du porteur. Hors ces cas point de salut pour l’émetteur. Nous savons que la banque n’est juge que du motif et pas de sa réalité : Cassation commerciale 8 Octobre 2002 – 00-12174 - Cassation commerciale 17 février 2015 – 13-22520 -

La mainlevée doit être effectuée devant le seul juge des référés et cette action interrompt la prescription de l’action contre le tiré : Cassation commerciale 27 Novembre 2012 – 11-19864 – Sur la compétence exclusive du juge des référés voir CA Nancy 31 Mars 2015  RG 14/011958 ; Cassation commerciale 5 décembre 2018 – 17-22658 –

La question du blocage ou non de la provision n’est pas stabilisée en jurisprudence : Cassation commerciale  21 Novembre 2018 – 17-24014 – notamment en cas de vol.

En l’espèce pour ne pas voir saisi le juge compétent dans le délai d’un an à compter de l’expiration du délai de présentation du chèque, le bénéficiaire, pourtant créancier, se voit sanctionné ou du moins son préjudice évalué à 10 000 € est réduit à 5 000 € la faute étant partagée comme ayant concouru au dommage par sa passivité.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA de Colmar, 10 janvier 2022, RG 20/02842. L'essentiel du droit bancaire n°3, mars 2022, page 2.