FAITS

Une société est titulaire dans les livres de la banque populaire centre atlantique d’un compte professionnel qui bénéficie d’une autorisation de découvert à concurrence de la somme de 50 000 €

Par LRAR en date du 17 octobre 2017 la banque dénonce sa ligne de découvert moyennant un préavis de 60 jours au motif d’un fonctionnement anormal du compte.

Le 18 décembre elle met en demeure la société de lui régler la somme de 49 650,99 € montant du solde débiteur.

Elle obtient une ordonnance d’injonction de payer auprès du tribunal de commerce de Bordeaux qui est opposée.

Par jugement du 18 février 2019 le tribunal de commerce de Bordeaux confirme l’ordonnance d’injonction de payer et le jugement est frappé d’appel.

L’argument principal de la société consiste à prétendre que la dénonciation est abusive car le compte fonctionnait normalement.

La banque demandait la confirmation.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« Il ressort des relevés de compte produits aux débats de juin 2015 à octobre 2017 que le montant maximum du découvert autorisé n'a été dépassé que le 5 juillet 2017, pour la somme de 172,22 euros au delà du seuil autorisé, et pour une durée de quelques jours, le solde débiteur au 31 juillet 2017 étant revenu en deça du seuil maximum.

Pour justifier l'interruption de l'autorisation de découvert, la Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique, dans son courrier du 17 octobre 2017 invoque le fonctionnement anormal du compte, alors qu'à cette date, le dit compte présentait un découvert inférieur à l'autorisation consentie par la banque, et qu'aucun autre incident n'avait été à déplorer depuis juillet 2017.

Par ailleurs, dans son courrier dénonçant le découvert, la banque mentionne s'être entretenue à plusieurs reprises avec la société P. du fonctionnement anormal de son compte, mais n'en justifie pas.

Les échanges à propos d'une augmentation du découvert autorisé, qui n'ont jamais abouti à la concrétisation d'un accord sont indifférents à la solution du présent litige, dès lors que le seul motif pour lequel le découvert a été supprimé est le prétendu fonctionnement anormal.

A l'inverse, l'affirmation de la société P. de ce qu'elle avait été contrainte de souscrire deux contrats de leasing avec la filiale Natixis de la banque n'est pas étayée, le dernier contrat étant en date du mois d'avril 2017, soit très antérieur à la suppression par la banque du découvert, et aucune des pièces produites ne démontrant une telle contrainte.

Il n'en demeure pas moins que la décision de la Banque Populaire Aquitaine Centre Atlantique de supprimer l'autorisation consentie en 2015, alors qu'aucun incident, hormis, plus de deux mois auparavant, un dépassement minime pour un temps très limité, n'avait été à déplorer sur une période de plus de deux ans, sans donner d'autres motif que celui, erroné, d'un 'fonctionnement anormal' du compte, démontre un comportement déloyal, constituant une faute engageant la responsabilité de la banque, l'abus de droit étant caractérisé. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Nous sommes confus pour la banque de lire que pour un dépassement de 172,22 € sur une autorisation de 50 000 € celle ci a dénoncé sa ligne de découvert sur le fondement de l’article L 313-12 du code monétaire et financier.

C’est ubuesque. Ou alors on ne nous dit pas tout et notamment ce que le client et la banque se sont dits lors des entretiens auxquels la banque fait référence dans ses écritures mais sans les prouver.

Il y a dans cette affaire des choses non dites qui justifieraient la dénonciation. Mais quand le fonctionnement du compte est en jeu la dénonciation est le plus souvent sans préavis alors que présentement la banque a bien accordé un préavis de 60 jours.

C’est dire que pour elle le comportement du client ne justifiait pas une rupture sans préavis. Elle devait donc expliquer cette contradiction.

Sur cette question de la rupture sans préavis la jurisprudence est suffisamment lisible : Pour un comportement gravement répréhensible voir Cassation commerciale 8 Mars 2005 – 02-20348 -  la banque soupçonnait une circuit d’effets de complaisance. Dans le même sens Cassation commerciale 14 février 2006 – 04-16464- 20 juin 2006 – 04-16238 – Sur l’obligation on non de motiver son action voir Cassation commerciale 26 janvier 2010 – 09-65086 – Le plaignant doit évidemment supporter la charge de la preuve de l’existence d’un crédit : Cassation commerciale 2 Mars 2010 – 09-65233 – Attention à la notion de crédit occasionnel qui permet de ne pas respecter l’article L 313-12 CA Riom 2 Mai 2012  RG 10/01893 – CA Aix en Provence  6 septembre 2012  RG 2012/347. Les lignes même non utilisées doivent respecter les règles de la dénonciation : Cassation commerciale 2 Mars 2010 – 09-10435 –

Le délai de 60 jours ne peut, par principe, être contesté : Cassation commerciale 14 janvier 2014 – 12-29682 -

Si la raison – judiciaire -  est le dépassement de l’autorisation de 50 000 € pour 172,22 € alors la cour a eu beau jeu de sanctionner la banque sur le fondement de l’abus de droit.

Au surplus la mise en demeure a été adressée à l’intérieur du délai de préavis – par mégarde semble t’il -

La sanction d’une motivation plus ou moins alambiquée est l’abus de droit et dans ce cas la société a obtenu 2 000 € de dommages-intérêts.

Cela signifie clairement qu’à l’intérieur de ce délai, la banque n’a pas à s’expliquer sur les raisons de sa rupture de crédit.

Pour une rupture sans préavis elle ne peut le faire qu’en cas de comportement gravement répréhensible du client ou de situation irrémédiablement compromise dont on ne sait trop ce qu’elle recouvre.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Sources : CA Bordeaux, 17 janvier 2022, RG 19/01359. L'essentiel du droit bancaire, n°4, avril 2022, page 4.