FAITS

Ils sont relativement classiques dans leur survenance mais pas dans leur preuve puisque la titulaire de la carte a avoué successivement avoir marqué son code sur un papier qu’elle avait conservé à coté de sa carte bancaire et avoir tardé a faire opposition en attendant près de quatre jours après le vol de ladite carte.

S’il n’y avait que cette problématique nous n’aurions pas retenu cette décision dont la teneur n’a rien d’original.

Par contre plus surprenant est l’argument avancé par la titulaire de la carte à savoir l’article L. 561-1 du code monétaire et financier qui dispose que la banque doit effectuer une vigilance constante sur la cohérence des opérations qui sont comptabilisées sur le compte de la plaignante.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

Sur les fautes de la titulaire

« De son propre aveu, en laissant le papier sur lequel se trouvait le code et en l'oubliant dans la pochette, Mme Julie B. n'a pas pris toutes les mesures raisonnables pour préserver la sécurité des données sauf à avoir mis cette carte et ce code dans un lieu sécurisé. Cependant de son propre aveu cette carte et ce code se trouvaient dans son sac à main qui ne peut être considéré comme tel…

De ce qui précède il est établi que Mme Julie B. par négligence n'a pas pris toute les mesures nécessaires à la protection du code sécurisé permettant l'utilisation de la carte bancaire. Cette négligence peut être qualifiée de grave à raison de l'usage auquel la carte était destinée à savoir, pour réaliser des paiements, des encaissements et des retraits.

Par ailleurs, de son propre aveu et alors qu'elle ne retrouvait pas sa carte depuis un passage dans un bar dénommé le 'Gibus' le 15 ou le 16 juin 2017 elle a attendu le 20 juin pour faire opposition au sein de l'agence bancaire alors que cette démarche pouvait être faite en ligne ce qu'elle ne pouvait ignorer dans la mesure où il ressort d'une copie écran qu'elle avait déjà fait opposition en ligne le 7 décembre 2015. En outre alors que l'opposition doit être faite sans tarder, elle reconnaît qu'elle a attendu pour la faire au motif qu'elle est étourdie et qu'elle pensait l'avoir uniquement égarée. Il est donc établi que par négligence elle n'a pas fait opposition à sa carte bancaire sans tarder. Cette négligence est du même niveau de gravité que la précédente dans la mesure où elle avait connaissance que le code d'usage de la carte se trouvait avec cette dernière.

Partant les opérations litigieuses n'ayant été rendu possibles entre le 17 juin et le 20 juin 2017, jour de l'opposition, que par les négligences graves de Mme Julie B., cette dernière doit supporter les pertes occasionnées sur la période du 17, 18 et 19 juin 2017. »

Sur la faute de la banque

« Si la Caisse de crédit mutuel a été vigilante à l'endroit de Mme Julie B. jusqu'au 19 juin 2017 en l'informant le 20 juin 2017 lors de son passage à l'agence pour faire opposition , des opérations douteuses sur son compte le 17, 18 et 19 juin au point de lui expliquer que des encaissements avaient été réalisés avec des chèques volés, cette dernière dans le cadre de cette vigilance aurait dû même avant toute opposition mettre en attente les opérations douteuses à raison de leurs montants et de leurs incohérences par rapport aux opérations habituellement réalisées par Mme B..

Ce manquement à l'obligation de vigilance le 20 juin 2017, compte tenu, entre autres, des frais et commissions prélevées a causé un préjudice à Mme Julie B. qui peut être évalué à 400 €.

En conséquence la Caisse de crédit mutuel est condamnée à payer à Mme Julie B. la somme de 400 € de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de vigilance… »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Pour ce qui est de la faute de la titulaire de la carte elle est reconnue par la cour et cela n’est pas surprenant tant la faute était patente et reconnue.

La décision se situe dans la ligne jurisprudentielle des cours d’appel. CA Aix en Provence 24 Mai 2017 RG N° 15/07438 ; Cassation commerciale 25 octobre 2017 – 16-11644 -28 Mai 2018 – 16-20018 -6 juin 2018 – 16-29065 – 29 mai 2019 – 18-10147 -12 Novembre 2020 – 19-12112.

Pour le reste, des remises chèques ont été effectuées pour des montants importants (30 169,60 €) suivies de 27 opérations de retrait et de paiement pour un montant de 9 637,39 €.

Cela était il suffisant pour déclencher l’application de l’article L. 561-6 du code monétaire et financer qui dispose : « Pendant toute la durée de la relation d'affaires et dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, ces personnes exercent, dans la limite de leurs droits et obligations, une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu'elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu'elles ont de leur relation d'affaires. » ?

Cette disposition est issue d’une ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016.

La haute Cour avait jugé en date du 1 juillet 2003 – 00-18650 : «Attendu qu’en se déterminant  par ces seuls motifs, sans rechercher si l’AMEX n’avait pas commis une faute en ne vérifiant pas si les dépenses litigieuses, en l’absence de plafond, ne présentaient pas à l’examen du « compte carte » un caractère anormal ou inhabituel, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision… »

Dans notre affaire les montants des remises chèques (30 169,60) et le fait qu’elles aient été suivies de 27 opérations de retrait pour une somme de 9637,39 aurait dû alerter la banque et l’amener à mettre en attente les opérations douteuses.

Il est vrai que l’on ne décaisse pas sur des remises chèques sauf à avoir une confiance totale dans le titulaire du compte et dans le fonctionnement de celui-ci.

Nous retenons cette décision car rare est l’argument de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier et quand il l’est c’est le plus souvent en défense CA Paris Pôle 1 chambre 3 / 30 Juin 2021 N° RG 20/18606.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA Amiens 29 juin 2021, RG 18/03636, l’essentiel du droit bancaire n°9, octobre 2021 p.3.