FAITS

Une dame B consent un prêt de 40 000 € le 3 juin 2014 a une dame D, épouse A par le débit du compte professionnel de son entreprise unipersonnelle.

Par lettre en date du 3 octobre 2014 à elle adressée, les époux A reconnaissent le prêt mais indiquent ne pouvoir le rembourser immédiatement.

Un paiement partiel intervient le 25 Mars 2017 pour 600 €.

La dame B assigne les époux A devant le TGI de BORDEAUX aux fins d’obtenir leur condamnation à lui rembourser la somme de 39400 € en principal.

Par jugement en date du 11 septembre 2018 le tribunal fait droit à la demande et les époux A interjettent appel et demandent à la cour de débouter purement et simplement la demanderesse et subsidiairement de ne condamner que la dame A et non le couple.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« Aux termes de l'article 1892 du code civil, le prêt de consommation est un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité.

Marie-Pierre B. prétend avoir prêté le 3 juin 2014 la somme de 40 000 euros à Daniel A. et à Valérie D. épouse A., au moyen d'un virement opéré à partir du compte bancaire de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Marie B., par débit de son compte courant d'associée.

Les époux A. reconnaissent l'existence d'un prêt de 40 000 euros, mais soutiennent qu'il a été consenti par l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Marie B. à Valérie D. épouse A. seule, de sorte qu'ils demandent la mise hors de cause de Daniel A. et qu'ils contestent la qualité pour agir de Marie-Pierre B …

Il appartient donc à l'intimée de prouver le prêt allégué.

Aux termes de l'article 1341 ancien, alinéa premier, du même code, il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre...

Il s'ensuit que le prêt en cause devait être passé par écrit. Toutefois, selon l'article 1347 ancien, alinéas 1 et 2, du code civil, les règles ci-dessus reçoivent exception lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit. On appelle ainsi tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué.

Marie-Pierre B. produit la lettre du 3 octobre 2014 (sa pièce no 2) qui est établie au nom de Daniel et Valérie A., signée de « Daniel et Valérie », adressée à Marie-Pierre B., et dans laquelle ils expliquent qu'ils ne peuvent actuellement rembourser la totalité du prêt.

Cet acte par écrit, qui est émané de ceux contre lesquels la demande est formée, rend vraisemblable le prêt allégué. L'intimée est dès lors recevable à compléter cet adminicule par :' le relevé du compte bancaire de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Marie B., mentionnant à la date du 3 juin 2014 :« Virement Ag D. A. Valérie« Prêt Marie Pierre B. » ' le chèque d'acompte du 25 mars 2017 tiré par Valérie D. A. au bénéfice de Marie-Pierre B..Il résulte de l'ensemble de ces pièces que le prêteur est Marie-Pierre B. et que les emprunteurs sont Daniel et Valérie A.. N'est pas déterminant à cet égard le fait que la somme prêtée ait été versée sur le compte professionnel de Valérie A. et enregistrée dans sa comptabilité. Le prêt allégué étant avéré, il incombe aux époux A. de rembourser l'intimée.

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Nous savons qu’en matière de preuve d’un contrat de prêt ou de crédit la seule remise des fonds à une personne ne suffit pas à justifier pour celle-ci l’obligation de restituer la somme qu’elle a reçue : Cassation civile 1. 5 novembre 2009 – 08-18824. L’absence d’intention libérale ne suffit pas à caractériser l’obligation de remboursement : Cassation civile 1. 19 juin 2008 Bull Civil I n° 176.

La jurisprudence de la première chambre civile est constante : Cassation civile 1. 8 Avril 2010 – 09-10977 – 29 juin 2011 – 10-11012 – pour une application originale, entre ex époux, sur l’impossibilité morale d’en rapporter la preuve voir Cassation civile 1. 19 octobre 2016 – 15-27387 – 16 Novembre 2016 – 15-25943 – 18 Mars 2020 – 19-11475.

Attention à la règle selon laquelle le prêt qui n’est pas octroyé par un établissement de crédit ou assimilé est un contrat réel et doit se prouver notamment par la remise des fonds : Cassation commerciale 14 mars 2018 – 16-27815.

Toutes ces jurisprudences innervent les cours d’appel et notamment celle de Bordeaux voir CA Bordeaux 16 Mars 2011  RG 10/00622 ; CA Paris 9 juin 2011  RG 08/07297 sur la question de la preuve émanant de documents internes à la banque.

Dans notre espèce les défendeurs arguaient, dans un subsidiaire qui sentait bon le principal, que si prêt il y avait il ne mettait d’obligation de remboursement qu’à la charge de Mme A et non pas du couple.

La cour procède à une analyse scrupuleuse des faits : le débit de la somme, la lettre de reconnaissance de l’obligation de remboursement, pour ensuite les revêtir des habits juridiques nécessaires à savoir la nature du contrat : un prêt, la preuve de ce contrat : à la charge du demandeur : les règles de preuve applicables : la somme étant supérieure à 1500 € il fallait un écrit. Puis la cour gère l’exception à cette règle à savoir le concept de commencement de preuve par écrit. La cour note la lettre du 3 octobre 2014 qui est établie et signée des époux, que cette lettre émane de ceux contre lesquels la demande est formulée et que tout cela rend « vraisemblable le prêt allégué… ».

Qu’on se le dise tout est preuve en cette matière. Pour cette raison CASE LAW ANALYTICS modélise les preuves versées aux débats en distinguant leur nature contradictoire ou non, leur origine selon qu’elles émanent de la personne à qui on l’oppose ou pas et que toutes ces informations couplées avec celle des arguments supports de ces preuves affinent grandement la modélisation du risque.

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Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA Bordeaux 13 septembre 2021, RG 18/05504, L’essentiel du droit bancaire n°10, novembre 2021, page 7.

Crédit photo : CéCédille CC-BY-SA-4.0