FAITS

Une société spécialisée dans la fabrication de dispositifs utilisés dans l’industrie pétrochimique a pour partenaire commercial une société iranienne . Elle a saisi la banque de France au titre du droit au compte prévu à l’article L 312-1 du code monétaire et financier à la suite du refus de la BNP d’entrer en relation avec elle. Ayant été désigné par la BDF elle lui a ouvert un compte de dépôt le 15 Mai 2017.

Le 14 février 2018 par LRAR la banque notifie à la société sa décision de clôturer ledit compte, sans préavis au motif « fonctionnement atypique de votre compte (Article L 312-1-IV-1° du CMF) »

Une ordonnance de référé, confirmée en appel a dit que la clôture du compte constituait un trouble manifestement illicite et a ordonné le maintien du compte.

La banque a assigné la société titulaire du compte pour voir constater la validité de la résiliation du compte.

La cour d’appel de Grenoble le 6 décembre 2018 a jugé que la clôture du compte était irrégulière tant dans la forme que sur le fond.

La banque se pourvoit en cassation.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

«  Pour écarter les conclusions de la banque qui soutenait qu'en communiquant son relevé d'identité bancaire à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l'intermédiaire d'une société chinoise, dont elle s'était refusée à préciser le rôle dans l'opération, en paiement de tubes à dispositif d'osmose inverse livrés dans le cadre d'un projet « Bushehr », du nom d'une ville du golfe persique également donné à la centrale nucléaire située dans les environs de celle-ci, la société Knappe avait délibérément utilisé son compte pour une opération qu'elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, et juger que la résiliation du compte par la banque pour ce motif était irrégulière, l'arrêt retient que le virement annoncé le 21 décembre 2017, qui constitue l'opération atypique invoquée par la banque, n'est parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'à la date de cette décision, la société Knappe avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.
En se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure, en l'état des circonstances invoquées par la banque, l'utilisation délibérée du compte pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

C’est donc une question de résiliation d’un compte ouvert selon la procédure du droit au compte prévue à l’article  L 312-1 du code monétaire et financier qui nous occupe.

Sur la question du droit au compte des personnes morales : voir CE 10 septembre 2014 n° 381183.

Sur les conditions à respecter en fonction des fautes invoquées : voir CA Aix en Provence 10 Octobre 2019  RG 17/05230.

En l’espèce la banque avait clôturé le compte sans préavis et souhaitait se mettre sous la protection du IV de l’article L 312-1 du CMF dispensant du respect d’un préavis en cas de soupçon d’opérations illégales.

Les arguments les plus prégnants soulevés par la banque au soutien de son pourvoi consistaient à prétendre que l’examen des circonstances était achevé, que la communication des données de son compte est une utilisation dudit compte et enfin que la banque qui de bonne foi effectue une déclaration de soupçon est exonérée de toute responsabilité.

La haute Cour juge que les magistrats grenoblois ne justifient pas que les circonstances invoquées par la banque ne suffisent pas à exclure l’utilisation délibérée du compte pour des opérations que la banque avait de bonnes raisons de soupçonner. Cette double négation ne facilite pas la lecture de cet arrêt publié au bulletin et rendu dans une espèce peu fréquente.

En clair la banque, dont on ne dira jamais assez qu’en cette matière consanguine de la déclaration de soupçon, son attitude doit être emprunte à la fois de prudence et d’esprit de décision, a eu raison de clôturer le compte sans préavis ou plus précisément que la cour ne démontre pas qu’elle a eu tort.

La Cour régulatrice ne répond pas directement aux arguments avancés par la banque et notamment celui de savoir si la communication des données d’un compte peut être considérée comme une utilisation du compte et par voie de conséquence comme un commencement d’exécution ou une tentative d’accomplissement  d’opération illégales.

La cour d’appel avait jugé par la négative en prenant en compte la seule date d’exécution du virement pour dire qu’étant postérieure à la clôture du compte, la banque avait commis une faute.

En définitive cette double négation utilisée par la Cour régulatrice se révèle bénéfique pour la banque. Il faut dire que les circonstances factuelles ne plaidaient pas eu faveur du client ni de son prétendu client et que le soupçon avait de bonnes raisons de pouvoir prospérer.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 30 juin 2021, pourvoi n°19-14313, publié au bulletin.