FAITS

Une banque accorde à un couple trois prêts immobiliers libellés en devises CHF, assurés auprès de la CNP Caution.

Par la suite un autre prêt immobilier garanti par un nantissement de placement d’assurance est octroyé par ladite banque.

A la suite du décès d’un des emprunteurs la CNP verse à la banque les prestations correspondant à la prise en charge des trois premiers prêts mais le dernier n’est pas remboursé et la banque prononce la déchéance du terme.

Assignation et en défense les emprunteurs entendent mettre en jeu la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde, d’information et de conseil.

La cour d’appel de Chambéry le 11 Avril 2019 entre en voie de condamnation contre la banque au titre de ce manquement pour une somme totale de 100 000 € mais déboute l’épouse de sa demande tendant à voir annulées certaines dispositions contractuelles.

La cour motive sa position au visa de l’article 910-4 du code de procédure civile qui oblige les parties à présenter dès leurs premières conclusions en appel, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ce que la cour considère ne pas avoir été le cas.

Seul ce moyen retiendra notre attention.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

«Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er du code de la consommation, et 910-4 du code de procédure civile :……
La Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).
En outre, il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. A défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19).
Selon le deuxième de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Il s'en déduit que le principe de concentration temporelle des prétentions posé par le troisième de ces textes ne s'oppose pas à l'examen d'office du caractère abusif d'une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
Pour déclarer irrecevables les prétentions de Mme [L] en annulation de stipulations contractuelles abusives, l'arrêt retient que celles-ci auraient dû être présentées dans le premier jeu de conclusions d'appel, qu'elles ont été formées dans le troisième et qu'elles ne sont nullement destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En statuant ainsi, sans examiner d'office le caractère abusif des clauses invoquées au regard des éléments de droit et de fait dont elle disposait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

«…Le principe de concentration temporelle des prétentions posé par le troisième de ces textes ne s'oppose pas à l'examen d'office du caractère abusif d'une clause contractuelle par le juge national, qui y est tenu dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet….»

Voilà bien ce qu’il nous faut retenir de cette décision publiée de la première chambre civile.

La cour d’appel avait vu dans la chronologie des écritures déposées une impossibilité de se prévaloir de cet argument de la nullité des stipulations contractuelles.

La haute cour ne l’entend pas ainsi et permet au juge d’appliquer son office en cette matière consumériste nonobstant le principe de concentration des moyens tel qu’écrit par l’article 910-4 du CPC.

La solution ne surprend pas qui permet au juge de prendre la main sur ce principe de concentration.

Le droit consumériste a pris le pas sur les règles de procédure : Sur ce principe de concentration nous savons qu’une prétention rejetée ne peut être présentée à nouveau sur un autre fondement : Cassation civile 2. 14/04/2019 – 17-31785 –

Sur l’autorité de la chose jugée voir Cassation civile 2. 27/02/2020 – 18-23972 et 18-23370.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Première chambre civile, 2 février 2022, pourvoi n°19-20640. Publié au bulletin, l'essentiel du droit bancaire n°3, mars 2022, page 1.