FAITS

Un sieur M conclut un contrat de franchise de restauration rapide avec un franchiseur et crée ensuite une société pour exploiter cette activité.

Pour ce faire il emprunte à sa banque un prêt d’un montant de 213 000 €. Par la suite sa société est déclarée en redressement puis en liquidation judiciaire et le liquidateur assigne le franchiseur en annulation du contrat de franchise et la banque pour manquement à ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde.

La cour d’appel d’Aix en Provence le déboute et il se pourvoit en cassation au motif en l’espèce peu convainquant que le banquier est tenu d’un devoir de mise en garde dans l’octroi des crédits et qu’il possédait sur l’opération des informations dont ne disposait pas l’emprunteur.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« L'obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l'égard d'un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur et sur le risque de l'endettement qui résulte de son octroi et non sur l'opportunité ou les risques de l'opération financée.
Ayant retenu, d'abord, qu'il appartenait au banquier dispensateur de crédit de se prononcer uniquement sur le financement sollicité par la société Food Casual Lens à la lumière de ses prévisions d'activité transmise à la banque dans le business plan et non sur la viabilité du concept de franchise, ce dont il résulte que la banque n'était pas tenue à une obligation de conseil et qu'elle n'avait pas à se substituer à l'emprunteur pour apprécier la viabilité de l'opération financée, la cour d'appel a, par ses appréciations rendant inopérante la recherche alléguée par la première branche, légalement justifié sa décision.

Après avoir considéré, ensuite, que la banque ne disposait pas, au moment de l'octroi du prêt, sur les revenus et le patrimoine de l'emprunteur ou sur ses facultés prévisibles de remboursement des informations ignorées par ce dernier, l'arrêt retient qu'aucune conséquence ne peut être tirée du partenariat entre la banque et le franchiseur ou encore de la présence, au sein de la division franchise de la banque, d'une salariée employée plus de dix ans auparavant par la société Epac international, partenaire du franchiseur, d'autant qu'aucun élément n'établit que cette salariée serait intervenue dans le dossier de financement du franchisé. En cet état, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée par un motif abstrait et général, mais par une analyse précise des éléments soumis à son appréciation, a légalement justifié sa décision.
Enfin, il ne ressort ni des conclusions, ni de l'arrêt que M. [U] et le liquidateur aient soutenu devant la cour d'appel que le caractère non averti de l'emprunteur pouvait se déduire de l'appréciation du sérieux des documents remis à la banque par M. [U]. Mélangé de fait et de droit, le moyen est nouveau. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Rares sont les décisions qui statuent sur la frontière entre l’opportunité et l’orthodoxie en matière d’investissement. C’est la raison du choix de cette décision.

Il est exact que la frontière peut se révéler ténue entre l’opportunité qui est du choix du franchisé et l’orthodoxie du montage qui est de la responsabilité de la banque. En effet les différents documents nécessaires à ce type de contrat sont eux aussi à la frontière des obligations. Il en est ainsi des comptes prévisionnels, du lieu d’implantation, du caractère averti ou pas du postulant au contrat de franchise, du concept de savoir faire.

Cette différence entre les situations est assez bien prise en compte par ces deux figures juridiques que sont l’obligation de conseil et celle de mise en garde. La première citée pourrait entraîner une confusion entre l’opportunité et l’orthodoxie de la part de la banque alors que celle de mise en garde est particulièrement adaptée au concept d’orthodoxie qui est de la responsabilité de la banque qui finance. Sur cette frontière voir avec profit Cassation commerciale 11 Décembre 2012 – 11-26673.

Cette décision de par la précision de sa motivation nous permet de tracer une frontière entre les différentes obligations qui pèsent sur les acteurs. « L’obligation de mise en garde ne porte que sur l’inadaptation de celui ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement... et non sur l’opportunité ou les risques de l’opération financée… »

La frontière entre les risques de l’opération financée et ceux liés à l’endettement permet également de bien circonscrire les obligations en cause.

La mise en garde porte sur les risques d’endettement c’est à dire du rapport entre les charges et les revenus. Le risque de l’opération est autre chose.

Il appartiendra aux juges du fond de bien démêler l’écheveau des éléments factuels afin de mettre en regard les obligations correspondantes. Sur ce point voir Cassation civile 1. 24 Octobre 2019 – 17-31745.

Enfin la Cour régulatrice fait litière de l’argument invoqué en dernier lieu et qui consistait à prétendre que compte tenu de l’organisation de la banque qui disposait d’un service spécialisé en franchise, celle ci possédait sur l’opération des informations dont ne disposait pas le franchisé.

La réponse de la Cour est claire : « aucune conséquence ne peut être tirée du partenariat entre la banque et le franchiseur ou encore de la présence, au sein de la division franchise de la banque, d'une salariée employée plus de dix ans auparavant par la société Epac international, partenaire du franchiseur, d'autant qu'aucun élément n'établit que cette salariée serait intervenue dans le dossier de financement du franchisé »

Quelque part le principe de non immixtion du banquier dans les affaires de son client se révèle encore une fois, mais de façon cachée, salvateur pour la banque : Sur ce point voir Cassation commerciale 27 Novembre 2012 – 11-19311.

En tout état de cause la sanction applicable si la cour était entrée en voie de condamnation aurait été la perte de chance comme l’a jugé l’arrêt de référence en la matière : Cassation commerciale 20 Octobre 2009 – 08-20274.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 29 septembre 2021, pourvoi n°19-11959, L’essentiel du droit bancaire n°10, novembre 2021, page 2.

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