FAITS

Une société de crédit consent trois prêts à une société de construction qui stipulaient pour une partie de leur durée que le taux d’intérêt serait fixe à 3,68 % pour le premier et 3,20 % pour les deux derniers si le taux de change du francs suisse était supérieur au taux de change de l’euro en dollars américain et que dans le cas contraire le taux serait celui fixé dans chaque contrat augmenté de 30 % de la différence entre ces taux de change.

Ces contrats ont été réitérés et la société a assigné la société de crédit pour obtenir à titre principal l’annulation de la stipulation d’intérêt et à titre subsidiaire la réparation d’un préjudice résultant d’un manquement de la banque a son obligation d’information.

La cour d’appel de Versailles le 27 Novembre 2018 fait droit à la demande de la société et la banque se pourvoit en cassation.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu l'article L. 313-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 : En application de ce texte, le taux effectif global, déterminé selon les modalités prévues par les dispositions du code de la consommation communes au crédit à la consommation et au crédit immobilier, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de crédit. En l'absence de sanction prévue par la loi, la Cour de cassation jugeait depuis de nombreuses années que l'inexactitude de la mention du taux effectif global dans l'écrit constatant tout contrat de crédit, de même que l'omission de la mention de ce taux, emportaient l'annulation de la clause stipulant l'intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l'intérêt légal (1re Civ., 24 juin 1981, n° 80-12.903, Bull. n° 234 ; Com., 29 nov. 2017, n° 16-17.802 ; 1re Civ., 5 juin 2019, n° 18-16.360). Toutefois, cette sanction, qui n'est susceptible d'aucune modération par le juge, ne permet pas de prendre en considération le préjudice subi par l'emprunteur, privé d'une chance de souscrire le contrat de crédit en connaissance du taux effectif global de celui-ci, et ce, en dépit de la jurisprudence selon laquelle cette sanction n'est pas encourue lorsque le taux effectif global est en réalité inférieur à celui mentionné (1re Civ., 12 oct. 2016, n° 15-25.034, Bull. n° 194, Com., 22 nov. 2017, n° 16-15.756) ou lorsque l'erreur affectant le taux effectif global mentionné est inférieure à un dixième de point de pourcentage (1re Civ., 26 novembre 2014, pourvoi n° 13-23.033 ; Com., 18 mai 2017, n° 16-11.147, Bull. n° 75). En outre, dès lors que son incidence financière dépend de l'évolution du taux légal, cette sanction, dans le contexte d'une baisse tendancielle de ce taux, se révèle sans commune mesure avec le préjudice subi par l'emprunteur, tandis qu'à l'inverse, en cas de hausse de ce taux, elle peut se trouver privée de tout effet. Le législateur est intervenu, dans un premier temps par la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014, pour écarter l'application de cette sanction aux contrats de prêt conclus, avant l'entrée en vigueur de cette loi, entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, la stipulation d'intérêts étant validée, sous certaines conditions, que le taux effectif global ne soit pas mentionné sur l'écrit constatant le contrat de prêt ou que le taux mentionné soit inférieur au taux déterminé conformément aux prescriptions du code de la consommation, l'emprunteur ayant droit, dans cette dernière hypothèse, au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance. Le législateur a, ensuite, aux termes de l'article 55 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, habilité le gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la consommation et du code monétaire et financier relatives au taux effectif global en vue de clarifier et d'harmoniser le régime des sanctions civiles applicables en cas d'erreur ou de défaut de ce taux. Il résulte de l'ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d'erreur du taux effectif global, prise en application de ce texte et qui généralise la sanction jusqu'alors applicable en cas d'irrégularité affectant la mention du taux effectif global dans une offre de crédit immobilier, qu'en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n'encourt pas l'annulation de la stipulation de l'intérêt conventionnel mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans une proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l'emprunteur. Si, conformément au droit commun, les dispositions de cette ordonnance ne sont applicables qu'aux contrats souscrits postérieurement à son entrée en vigueur, il apparaît nécessaire, compte tenu de l'évolution de ce contentieux et du droit du crédit, de modifier la jurisprudence de la Cour pour juger, désormais, à l'instar la première chambre civile (1re Civ., 10 juin 2020, n° 18-24.287, en cours de publication) qu'en cas d'omission du taux effectif global dans l'écrit constatant un contrat de crédit conclu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 17 juillet 2019, comme en cas d'erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l'emprunteur. Pour annuler la stipulation d'intérêts conventionnels du contrat n° MPH278210EUR et dire que le taux d'intérêt légal est applicable pour ce contrat à compter du 22 juin 2012, après avoir énoncé que le non-respect des dispositions des articles 1907, alinéa 2, du code civil et L. 313-2 (lire L. 313-4) du code monétaire et financier est sanctionné par la nullité relative de la stipulation d'intérêts, l'arrêt retient que la SACVL est fondée à prétendre que le taux effectif global indiqué dans l'avenant du 22 juin 2012 est erroné. En statuant ainsi, alors que l'inexactitude du taux effectif global mentionné dans l'avenant au contrat de prêt emportait, non l'annulation de la stipulation du taux de l'intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l'intérêt légal, mais la déchéance de la banque de son droit aux intérêts dans la proportion qu'il lui appartenait de fixer au regard, notamment, du préjudice subi par la SACVL, la cour d'appel a violé le texte susvisé »

MISE EN PERSPCTIVE DE LA DECISION

C’est à un véritable travail d’explication que se livre la chambre commerciale en alignant sa jurisprudence sur celle de la première chambre civile :

Elle nous explique tout d’abord le parcours législatif dont la motivation est de mettre fin à la jurisprudence trop tranchée (et d’un intérêt économique nul) de la Cour de cassation qui sanctionne par la nullité la stipulation d’intérêt en cas d’erreur ou d‘absence du TEG et ensuite que cette application ne peut être rétroactive mais qu’elle le sera un peu quand même : Cassation civile 1. Avis 10 juin 2020 – 20-70001 – et Cassation civile 1. 10 juin 2020 – 18-24287.

Par contre la chambre commerciale, à l’inverse de la première chambre civile, se livre à un travail pédagogique favorisé par la nouvelle rédaction des arrêts.

Cette application immédiate aux contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée est fondée sur le souci de coller le plus possible à une indemnisation la plus juste du préjudice subi par l’emprunteur.

Le souci est louable bien qu’un peu tardif. N’oublions pas qu’il faudra passer par la perte de chance puisque nous sommes sur un aléa. Sur ce point voir avec profit Cassation civile 1. 21 octobre 2020 – 19-18083 – confirmant sa jurisprudence Cassation civile 1. 16 septembre 2010 – 08-20550 et 12 octobre 2016 – 15-25034 – cette jurisprudence nouvelle a vocation à s’appliquer également en matière de crédit immobilier : Cassation civile 1. 6 janvier 2021 – 18-25865.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique chez Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 24 mars 2021, pourvois n°19-14307 et 19-14404, publié au bulletin, L’essentiel du droit bancaire n°5 mai 2021 p.4