FAITS ET PROCEDURE

Une caisse de crédit agricole consent différents crédits à une société dont un découvert en compte de 90 000 € garanti par la caution de Mme S et de M. C dans la limite de 108 000 €.

La banque dénonce cette ouverture de crédit avec préavis de 60 jours.

Elle met en demeure débitrice principale et cautions d’avoir à payer la somme de 96 019,39 €.

Faute de paiement elle les assigne en paiement devant le TGI de Marseille et le juge de la mise en état sursoit à statuer en attente de la décision de la cour d’appel d’AIX EN PROVENCE devant se prononcer sur l’éventuelle responsabilité de la banque mise en jeu par la caution S.

Par jugement en date du 19 Mars 2015 le tribunal condamne la caution C à payer la somme de 96 019,39 € à la banque en la déboutant de ses contestations sur la disproportion.

Les deux cautions interjettent appel.

La cour d’appel d’AIX EN PROVENCE rejette l’argument des cautions qui prétendaient à la faute de la banque en ce qu’elle aurait procédé à des virements vers des sociétés tierces sans autorisation et que ce montant devrait venir en déduction de sa créance. Pour autant Elle admet qu’il s’agit là d’une exception non pas purement personnelle au débiteur mais inhérente à la dette que la caution était en droit d’opposer mais elle fait sienne l’argument des premiers juges qui avaient considéré qu’en application de l’article L. 133-24 du code monétaire et financier la débitrice principale disposait d’une délai de forclusion de 13 mois pour contester ces opérations en l’espèce dépassé.

C’est dans ce contexte procédural que les cautions ont saisi la Cour de cassation au motif principal mais important que la réglementation du code monétaire et financier n’est pas exclusive de la responsabilité de droit commun.

La Cour de cassation dans son arrêt en date du 1er juillet 2020 – 17-19441 – juge que la question n’étant pas jugée doit être posée à la Cour de justice de l’Union européenne de savoir si les deux ordres de responsabilité peuvent cohabiter et est ce que la caution peut néanmoins mettre en jeu la responsabilité de la banque.

POSITION DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Sur la première question

«  Le législateur de l’Union a, dès lors, choisi d’insérer l’obligation de notification des opérations non autorisées ou mal exécutées dans une disposition distincte, en l’occurrence l’article 58 de la directive 2007/64 qui établit un délai maximal de treize mois, et de prévoir dans la disposition portant sur la responsabilité du prestataire de services de paiement, à savoir l’article 60 de cette directive, une référence expresse à ladite obligation.

De cette manière, le législateur de l’Union a établi, de la façon la plus claire possible, le lien entre la responsabilité du prestataire de services de paiement et le respect par l’utilisateur de ces services du délai maximal de treize mois pour notifier toute opération non autorisée afin de pouvoir engager la responsabilité, de ce fait, de ce prestataire. Ce faisant, il a également fait le choix univoque de ne pas permettre à cet utilisateur d’intenter une action en responsabilité dudit prestataire en cas d’opération non autorisée, à l’expiration de ce délai.

Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de répondre à la première question que l’article 58 et l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un utilisateur de services de paiement puisse engager la responsabilité du prestataire de ces services sur le fondement d’un régime de responsabilité autre que celui prévu par ces dispositions lorsque cet utilisateur a manqué à son obligation de notification prévue audit article 58. »

Sur la seconde question

« Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, en cas de réponse affirmative à la première question, l’article 58 et l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la caution d’un utilisateur de services de paiement invoque, en raison d’un manquement du prestataire de services de paiement à ses obligations liées à une opération non autorisée, la responsabilité civile d’un tel prestataire, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie, conformément à un régime national de responsabilité contractuelle de droit commun.

Il convient de relever, d’une part, que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2007/64 énonce que celle-ci fixe les droits et obligations respectifs des utilisateurs de services de paiement et des prestataires de tels services dans le cadre de la prestation de services de paiement en tant qu’activité habituelle ou professionnelle, conformément au considérant 47 de cette directive selon lequel celle-ci ne concerne que « les obligations contractuelles et les responsabilités respectives de l’utilisateur de services de paiement et de son prestataire de services de paiement ».

D’autre part, selon son article 2, ladite directive est applicable aux services de paiement fournis dans l’Union, étant précisé que le titre IV de cette même directive, qui comporte les articles 58 à 60 de celle-ci, s’applique uniquement lorsque tant le prestataire de services de paiement du payeur que celui du bénéficiaire, ou l’unique prestataire de services de paiement intervenant dans l’opération de paiement, sont situés dans l’Union.

Il ressort ainsi de ces dernières dispositions que la directive 2007/64 portent sur les relations entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de ces services, sans qu’aucune disposition de cette directive mentionne la caution d’un utilisateur de services de paiement.

À cet égard, le point 10 de l’article 4 de ladite directive définit l’utilisateur de services de paiement comme étant une personne physique ou morale qui utilise un service de paiement en qualité de payeur ou de bénéficiaire, ou des deux. Pour leur part, les points 7 et 8 de cet article définissent le « payeur » et le « bénéficiaire » comme étant, respectivement, d’une part, une personne physique ou morale qui est titulaire d’un compte de paiement et qui autorise un ordre de paiement à partir de ce compte de paiement, ou, en l’absence de compte de paiement, une personne physique ou morale qui donne un ordre de paiement, et, d’autre part, une personne physique ou morale qui est le destinataire prévu de fonds ayant fait l’objet d’une opération de paiement.

Or, le contrat de cautionnement est un contrat distinct de celui qui lie le créancier au débiteur, par lequel la caution, qui est une personne tierce à cette dernière relation contractuelle, a pour rôle de garantir au créancier, en l’occurrence le prestataire de services de paiement, le paiement de ce que le débiteur, en l’occurrence l’utilisateur de services de paiement, pourra devoir à ce dernier au titre de l’obligation cautionnée, laquelle est constituée de la dette due par le débiteur au créancier.

À ce titre, la caution ne relève pas de la notion d’« utilisateur de services de paiement », son rôle ne s’apparentant ni de près ni de loin à celui d’un « payeur » ou à celui d’un « bénéficiaire », au sens de l’article 4, points 7 et 8, de la directive 2007/64.Ainsi, cette directive n’établit des droits et des obligations qu’à l’égard des prestataires de services de paiement et des utilisateurs de tels services et ne vise pas la situation de la caution de tels utilisateurs.

S’agissant du régime de responsabilité du prestataire de services de paiement prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64, cette disposition ne mentionne que le payeur en tant que bénéficiaire du remboursement d’une opération non autorisée.

Pour sa part, l’article 58 de cette directive ne fait peser l’obligation de notification qu’il prévoit que sur l’utilisateur de services de paiement, sous réserve que, conformément au titre III de ladite directive, le prestataire de services de paiement a fourni ou mis à disposition de cet utilisateur les informations relatives à l’opération de paiement non autorisée ou non exécutée ou mal exécutée.

Ainsi, tout comme l’a souligné, en substance, M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, le régime de responsabilité prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 repose sur un équilibre entre l’obligation d’information pesant sur le prestataire de services de paiement et l’obligation de notification de toute opération non autorisée à l’intérieur d’un délai de treize mois incombant à l’utilisateur de services de paiement, permettant de fonder l’engagement de la responsabilité stricte de ce prestataire, sans que cet utilisateur ait à prouver une faute ou une négligence.

Par conséquent, afin d’engager la responsabilité d’un prestataire de services de paiement en raison d’opérations non autorisées par l’utilisateur de tels services, la caution d’un utilisateur ne saurait bénéficier du régime de responsabilité prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64, mais doit recourir aux possibilités que lui ouvre le droit national. Dès lors, il ne saurait être exigé de la caution qu’elle se soumette à l’obligation de notification de telles opérations, fixée à l’article 58 de cette directive.

La position des gouvernements français et tchèque selon laquelle il existerait un risque de contournement des dispositions de la directive 2007/64 si l’obligation de notification des opérations non autorisées ne s’imposait pas à la caution d’un utilisateur de services de paiement ne saurait être retenue.

En effet, ainsi qu’il ressort des points 58 à 60 du présent arrêt, le contrat de cautionnement entre un prestataire de services de paiement et une caution n’est pas régi par les dispositions de la directive 2007/64 ni d’ailleurs par aucun autre instrument de droit de l’Union. Un tel contrat demeure donc soumis aux droits et aux obligations déterminées par le droit national applicable.

Or, tout comme l’a relevé M. l’avocat général au point 94 de ses conclusions, si le droit national applicable le prévoit, le prestataire de services de paiement peut être conduit à supporter les conséquences de sa négligence dans l’exécution d’une opération de paiement, notamment lorsqu’il n’a pas vérifié que cette opération avait bien été autorisée par l’utilisateur de services de paiement, dans la mesure où une telle négligence a causé un préjudice à un tiers tel que la caution.

À cet égard, la possibilité pour la caution d’invoquer les dispositions du droit national pour diminuer ses obligations envers le créancier bénéficiant du cautionnement, en cas de négligence de ce dernier dans l’exécution d’une opération de paiement, ne porte aucunement atteinte à la relation contractuelle établie entre le créancier et le débiteur, respectivement le prestataire de services de paiement et l’utilisateur de tels services, qui est régie, quant à elle, par les dispositions de la directive 2007/64.

Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre à la seconde question que l’article 58 et l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que la caution d’un utilisateur de services de paiement invoque, en raison d’un manquement du prestataire de services de paiement à ses obligations liées à une opération non autorisée, la responsabilité civile d’un tel prestataire, bénéficiaire du cautionnement, pour contester le montant de la dette garantie, conformément à un régime de responsabilité contractuelle de droit commun. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La chose est donc entendue. La caution pourra, selon son droit national, mettre en jeu la responsabilité de la banque pour avoir manqué souvent à son obligation d’information, fréquemment de mise en garde et exceptionnellement de conseil.

La nouvelle réglementation issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021 permet à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions personnelles au débiteur principal et celles inhérentes à la dette -nouvel article 2298 - et la caution bénéficie par ailleurs d’une action distincte au titre du non respect à son égard de l’obligation de mise en garde qu’avait consacrée la jurisprudence (Cassation civile 1. 6 septembre 2017 – 16-19063 – 5 juillet 2017 – 16-18003) (nouvel article 2299). Que voilà de beaux contentieux en perspective….

L’arsenal des exceptions que la caution va pouvoir invoquer, en première instance bien sûr, sous peine de se voir reprocher le non respect du principe de concentration des moyens (Cassation civile 2. 6 juin 2019 – 18-16650 - Cassation civile 2. 1 juillet 2021 – 20-11706 - 27 février 2020 – 18-23370 -) est donc impressionnant.

La position de la Cour de justice repose sur le fait que seul l’utilisateur de service de paiement bénéficie de cette législation dérogatoire du droit commun.

Voilà donc une exception personnelle au débiteur principal que la caution ne pourra pas invoquer en l’état.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CJUE 2 septembre 2021, C-337/20, L’essentiel du droit bancaire n°9, octobre 2021, page 1

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