FAITS

Une banque consent deux prêts à une société sous la garantie des cautionnements de M. et Mme F. La société est mise en liquidation judiciaire et la banque assigne les cautions en paiement. En cours d’instance la banque découvre que les cautions avaient créée une société civile immobilière dans laquelle ils avaient logé leur bien immobilier et qu’il en avaient fait donation à leurs enfants de sorte qu’elles ne restaient plus propriétaires que de la pleine propriété d’une part sociale et de l’usufruit des 224 autres. Entre temps un jugement en date du 12 juillet 2018 avait déclaré les engagements de caution manifestement disproportionnés.

Considérant que cette donation avait été faite en fraude de ses droits la banque assigne les cautions et leurs deux enfants en invoquant la fraude paulienne afin que cette donation lui soit déclarée inopposable.

La cour d’appel de Chambéry le 23 mai 2019 déboute la banque de ses prétentions au motif que cette action suppose un principe certain de créance ce qui n’est pas le cas présentement eu égard à la disproportion jugée desdits engagements de caution.

La banque se pourvoit en cassation au motif essentiel que le créancier qui exerce l’action paulienne ne poursuivant pas le règlement de sa créance mais la protection des garanties qui lui ont été accordées doit seulement justifier d’un principe certain de créance au moment de l’acte argué de fraude.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu l'article 1341-2 du code civil :
Il résulte de ce texte que, si le créancier qui exerce l'action paulienne doit invoquer une créance certaine au moins en son principe à la date de l'acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, il est néanmoins recevable à exercer celle-ci lorsque l'absence de certitude de sa créance est imputée aux agissements frauduleux qui fondent l'action paulienne.
Pour débouter la banque, l'arrêt énonce que la première condition pour engager l'action paulienne est de disposer d'une créance et qu'il est constant que cette créance, si elle peut ne pas être liquide, doit être certaine au moment où le juge statue. Il ajoute que, par un jugement rendu le 12 juillet 2018 dans l'instance en paiement dirigée contre les époux F..., les engagements de caution de ces derniers ont été jugés manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et la banque déboutée de ses demandes en paiement. Il en déduit que, au jour où il se prononce, la banque n'a plus de créance certaine contre M. et Mme F..., peu important l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitait la banque en se prévalant de l'article L. 341-4 devenu L. 343-4 du code de la consommation, si, en l'absence des actes que celle-ci arguait de fraude paulienne, le patrimoine des cautions ne leur aurait pas permis de faire face à leur obligation au moment où elles ont été appelées et si, par conséquent, la banque ne pouvait pas, en dépit de la disproportion de leurs engagements au moment de leur souscription, invoquer un principe certain de créance contre eux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Beaucoup d’informations dans cette décision publiée.

Tout d’abord la confirmation, s’il en était besoin, que le simple fait de créer une société civile immobilière pour y loger un bien gage des créanciers suffit à déclencher une action paulienne : Cassation civile 1. 3 Mars 2011 – 10-11556 -Sur une donation partage en avancement d’hoirie voir CA Paris 29 novembre 2007 RG 06/11877 ; Sur une vente à réméré voir CA Paris 15 novembre 2007 RG 03/05536 ; idem pour une opération de fiducie CA Aix en Provence 30 Mars 2006 ; Pour un simple apport en société voir Cassation civile 3. 12 mars 2014 – 13-12155.

Ensuite le fait que le simple principe d’une créance suffit pour agir sur le fondement de la fraude paulienne dès lors que cette action ne tend pas au paiement d’une créance mais à la conservation de la garantie.

Enfin et son originalité tient à cette motivation, même si la caution a été jugée disproportionnée au moment de sa rédaction, la cour régulatrice réserve l’hypothèse ou, par application des dispositions de l’article L 343-4 du code de la consommation, la caution peut être engagée si, au moment de son exécution elle dispose des fonds nécessaire à l’exécution de son obligation. Ce cas qui vient en quelque sorte racheter la disproportion jugée permet de fonder l’action paulienne.

Nous voyons bien que la haute cour maintient une jurisprudence très ferme sur cette question de la fraude paulienne.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique Chez Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 24 mars 2021, pourvoi n°19-20033, publié au bulletin, L’essentiel du droit bancaire n°5 mai 2021 page 5.

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