FAITS

Les consorts W font l’acquisition auprès de deux assureurs, par l’intermédiaire de la banque de gestion privée d’investissement Indosuez, de plusieurs contrats d’assurance vie en unité de compte les supports étant composés de différents fonds de placement.

Par la suite et à l’initiative de la banque chacun des consorts a modifié la composition des unités de comptes et acquis des parts du fonds commun de placement Indosuez Alpha Long terme. Par la suite la banque leur conseille de procéder à un désinvestissement et de céder la totalité des parts du fonds Alpha.

Soutenant avoir subi des pertes compte tenu de ces désinvestissements résultant d’un manquement de la banque à ses obligations d’information et de conseil les consorts W l’ont assigné en responsabilité.

La cour d’appel de Paris rendu le 16 janvier 2019 sur renvoi de cassation en date du 22 février 2017 – 15-18371 – condamne la banque qui se pourvoit en cassation au motif que le préjudice issu de la perte de chance ne peut être apprécié qu’une fois le contrat racheté et les pertes alléguées effectivement réalisées.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Le manquement d'un assureur ou d'un courtier à son obligation d'informer, à l'occasion d'un arbitrage, le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de comptes sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes.

Si ces pertes ne se réalisent effectivement qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement, le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins- value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé, le souscripteur aurait pu obtenir, jusqu'à la date du rachat du contrat, du placement des sommes initialement investies sur ce support.

Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la perte d'une chance, pour les consorts W..., d'éviter les moins-values constatées sur les unités de compte investies dans le fonds Alpha ne pouvait être compensée par les performances des ré-investissements effectués sur d'autres supports et qu'elle leur a alloué une somme correspondant à la moins-value enregistrée entre les décisions d'investissement et de désinvestissement sur le fonds en cause, augmentée du rendement qu'aurait produit un placement moins risqué, le tout affecté du coefficient de probabilité que, dûment informés, les investisseurs aient renoncé à cet investissement »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La perte de chance ne fait pas bon ménage avec la compensation.

Le premier moyen de cassation prétendait entre autre au niveau du préjudice qu’il « doit être apprécié en considération de l'évolution de l'épargne investie au sein du contrat d'assurance-vie jusqu'à son dénouement, en procédant à la compensation des moins-values latentes et des gains obtenus à l'issue des divers arbitrages opérés sur les unités de compte composant le contrat d'assurance-vie »

La question qui se pose est donc de savoir si, dans ce type de contrats multi supports, par définition risqué, le préjudice s’analyse support par support ou au regard de l’ensemble des supports avec donc une possible compensation.

La Cour régulatrice opte pour une analyse du préjudice support par support sans admettre de possibles compensations entre eux.

L’obligation d’information, de conseil ou de mise en garde étant liée à ces supports, la démarche paraît cohérente.

Si la demande avait porté sur la nullité du contrat la compensation aurait pu trouver sa place mais ce n’était pas le cas.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 10 mars 2021, pourvoi n°19-16302, publié au bulletin, L’essentiel du droit bancaire n°5, mai 2021 p.6

Crédit photo : Daniel Vorndran CC-BY-SA (2014)