FAITS

Deux époux décident d’investir dans diverses sociétés financières européennes et pour ce faire demandent à leur banque d’effectuer différents virements à partir de leur compte joint pour une somme avoisinant les 3 millions d’euros.
Faisant valoir qu’elles avaient été victimes et qu’elles ne pouvaient obtenir indemnisation elles assignent leur banque pour manquement à son obligation de vigilance.
La cour d’appel de Nancy les déboute et ils se pourvoient en cassation sur ce même fondement de la faute.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION


« Après avoir constaté qu'aucune des opérations de virement n'est affectée d'une anomalie matérielle, l'arrêt retient que les montants des virements effectués ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d'anomalies, dès lors que le compte de [J] [K] et de son épouse est toujours resté créditeur et que ces montants doivent être mis en rapport avec l'importance du patrimoine des
époux [K]. Il retient également que le libellé des virements litigieux ne faisait nullement apparaître qu'ils étaient destinés au financement d'opérations spéculatives sur le Forex (marché des changes) et que, selon les documents dont la banque avait connaissance, [J] [K] et son épouse vendaient des titres boursiers pour procéder à l'achat de valeurs mobilières via des sociétés financières européennes ayant leurs comptes domiciliés en Bulgarie, à Malte, en Roumanie, en Pologne, en République tchèque ou en Géorgie. Il retient encore qu'il n'est pas établi que la TBI Bank, où l'un des comptes à créditer était domicilié, aurait déjà été mise en cause dans des escroqueries aux investissements sur le Forex.
L'arrêt ajoute que le fait que la banque ait fait preuve, à compter de septembre 2015, d'une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [J] [K] ne saurait être retenu contre elle et relève que, même informé de certaines anomalies découvertes par la banque aux termes de recherches auxquelles elle n'était pas tenue, [J] [K] a persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d'opérations en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la banque.
En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la troisième branche et n'était pas tenue d'effectuer celle invoquée par la quatrième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir que la banque n'avait commis aucun manquement à son obligation de vigilance.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche.

Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de
vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations
détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.
Le moyen qui postule le contraire, n'est pas fondé.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Les obligations de la banque en matière de blanchiment d’argent ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment et ne peuvent servir de fondement à une action en responsabilité contre l’établissement bancaire. En ce sens voir CA CAEN 10 février 2022 RG 20/02437- CA Paris 15 e B 21 décembre 2007 RG 03/01917 – et CA Paris 10 novembre 2005 CA Lyon 26 octobre 2006 CA Amiens 12 Octobre 2004. Cassation commerciale 10 mai 2010 – 09-15237
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Cette jurisprudence trouve également à s’appliquer en matière boursière ou la banque ne peut être recherchée en responsabilité pour ne pas avoir réclamé une couverture: cassation commerciale 23 février 1993 – revue banque 1993 page 97. Cassation commerciale 17 Mai 1994 (cinq arrêts).
Nous classons cette décision également dans la rubrique «réglementation bancaire»
«blanchiment».

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Chambre Commerciale, 21 septembre 2022. Pourvoi n°21-12335. Publié au bulletin. LEDB N° 10 NOVEMBRE 2022 PAGE 1.