FAITS

Une dame est titulaire dans les livres de la banque caisse d’épargne d’un livret A ouvert en 1975 au crédit duquel est porté en Janvier 2015 la somme de 21 189,69 €.

Le 12 décembre 2016 la banque clôture le dit compte comme inactif.

La cliente fait assigner la banque en restitution des sommes versées sur le compte devant le juge des référés qui renvoie l’affaire au fond.

Le TGI d’Alençon le 16 Août 2019 condamne la banque à rembourser à la cliente la somme de 21 189,69 €.

La banque interjette appel en soulevant les mêmes moyens qu’en première instance et également en demandant d’indiquer en cas de confirmation que la banque sera subrogée dans les droits de la cliente vis à vis de la caisse des dépôts et consignation.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

«La Caisse D'Epargne et de Prévoyance Normandie soutient que si le dépositaire doit conserver les fonds en dépôt, cette obligation est écartée en cas de force majeure. La Caisse d'Epargne fait valoir qu'elle était obligée de verser les fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations en application de la loi Eckert et qu'elle avait en outre rempli son obligation d'avertissement en adressant un courrier à Madame C. le 22 mars 2016. En l'espèce, Madame C. indique qu'à la suite de déplacements de sa part auprès de la Caisse d'Epargne au cours de l'année 2017 pour savoir pourquoi elle ne recevait plus son relevé annuel de Livret A, elle a été informée par un courrier du 20 décembre 2017( versé aux débats) qu'en application de la loi Eckert du 13 janvier 2014, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, un courrier lui avait été adressé pour l'alerter sur l'inactivité de son livret depuis plus de 5 ans et que dans la mesure où elle ne s'était pas manifestée, les fonds se trouvant sur son livret A avaient été adressés à la Caisse des Dépôts et Consignations et la clôture de son compte effectuée le 12 décembre 2016. Madame C. indique qu'elle n'a jamais reçu le courrier d'alerte de la Caisse d'Epargne alors qu'elle n'a jamais changé d'adresse. Elle fait valoir que la Caisse d'Epargne ne justifie d'aucune cause exonératoire de son obligation de restituer les fonds déposés, cette dernière n'ayant de surcroît pas respecté les conditions d'application de la loi Eckert.

La loi Eckert prévoit qu'un compte sur livret est considéré comme inactif à l'issue d'une période de 5ans au cours de laquelle il n'a fait l'objet d'aucune opération et si son titulaire ne s'est pas manifesté. Lorsque le compte est considéré comme inactif, l'établissement tenant ce compte en informe, par tout moyen à sa disposition, le titulaire. Les dépôts et avoirs inscrits sur les comptes inactifs sont déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations à l'issue d'un délai de 10 ans à compter de la date de la dernière opération. Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Ses dispositions s'appliquaient immédiatement aux comptes inactifs. Si le compte de Madame C. était inactif depuis 5 ans à la date du 22 mars 2016, ce qui n'est pas contesté par cette dernière qui fournit un relevé faisant état d'un dernier mouvement en date du 5 novembre 2003, l'établissement bancaire devait en informer la titulaire du compte.

Il ressort des pièces de la Caisse d'Epargne que le courrier d'alerte adressé à l'adresse de Madame C. le 22 mars 2016 est revenu avec la mention 'destinataire inconnu à l'adresse' alors que Madame C. n'a pas changé d'adresse et a reçu d'autres courriers de la banque à cette même adresse antérieurement (relevé de compte du 10 janvier 2015) et postérieurement  (courrier du 9 février 2018).

La Caisse d'Epargne avait d'autres moyens de vérifier l'adresse de sa cliente ce qu'elle n'a pas fait. La Caisse d'Epargne a reconnu dans un courrier du 26 mars 2018 adressé à Madame C. que le courrier de consignation n'avait de surcroit pas été adressé. Madame C. qui n'a pas reçu l'information que devait lui donner la Caisse d'Epargne sur l'inactivité de son compte et n'a pu réagir en conséquence. Il ne peut lui être reproché aucune attitude fautive.

Madame C. a demandé la restitution des fonds par courrier recommandé avec accusé de réception du 22 octobre 2018. La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Normandie était tenue à restitution de la somme déposée sur le livret. Seule la force majeure la déchargeait de son obligation. Il sera relevé que la force majeure est un événement imprévisible, extérieur au débiteur et insurmontable. Les fonds déposés sur un compte tenu par la Caisse d'Epargne n'ont pu être restitués à Madame C. du fait de leur versement à la Caisse des Dépôts et Consignations par la Caisse d'Epargne. Cet événement ne peut être considéré comme la conséquence d'une force majeure s'agissant d'un acte volontaire de la banque qui n'a pas de surcroit mis tous les moyens à sa disposition pour s'assurer de l'information de la titulaire du compte de l'application des dispositions de la loi Eckert. La banque engage donc sa responsabilité du fait de la non restitution des sommes déposées sur le livret A à Madame C.. L' Article 1149 du code civil édicte que les dommages et intérêts dus au créancier sont en général de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé. Il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement déféré qui a condamné la Caisse d'Epargne et de Prévoyance de Normandie à payer à Madame C. la somme de 21 189,69 euros , montant de la perte de Madame C. outre les intérêts au taux du livret A à compter du 1er janvier 2015.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Cette décision est originale car le sujet est peu fréquemment judiciarisé. Les praticiens savent pourtant que des sommes importantes (4 voire 5 chiffres) dorment sur ces comptes en déshérence.

Le législateur est donc intervenu pour préciser les droits et obligations des parties en cause : C’est la loi Eckert qui est venue réglementer ces situations aujourd’hui à l’article L 312-19 du code monétaire et financier.

Les banques ont un certain nombre d’obligations de recensement, de publication annuelle et d’information.

En l’espèce c’est bien le contour de cette dernière obligation qui était dans le débat.

Un courrier simple revenu avec la mention « inconnu à l’adresse indiquée » ne suffit pas à remplir cette obligation : « La Caisse d'Epargne avait d'autres moyens de vérifier l'adresse de sa cliente ce qu'elle n'a pas fait.»

Par rapport à la décision de première instance la banque est simplement subrogée dans les droits du titulaire du compte vis à vis de la CDC.

Elle est autrement condamnée à rembourser le montant du solde créditeur du compte soit la somme de 21 189 €.

La jurisprudence sur cette problématique est peu abondante de sorte que cette décision fera référence.

Il s’agit d’une question de fait soumise à l’appréciation des juges du fond qui estimeront au cas par cas si la banque a fait le nécessaire pour retrouver le titulaire ou ses héritiers.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source : CA de Caen, 10 mars 2022, RG 19/02720. L'essentiel du droit bancaire n°5, Mai 2022, Page 2.