FAITS

Une banque consent à M. X un prêt destiné au financement d’une activité professionnelle d’architecte pour une somme de 180 000 €. Mme intervient en qualité de co-emprunteur. Impayés. Mise en demeure. Déchéance du terme et la banque assigne en paiement les époux et Mme étant décédée les héritiers reprennent l’instance en leur qualité d’héritiers. M est placé en liquidation judiciaire et le liquidateur intervient volontairement à l’instance. La banque demande que sa créance soit fixée à concurrence d’une certaine somme au
passif. La cour d’appel de Rennes le 12 février 2021 condamne les époux au paiement de la somme réclamée. Les consorts font grief à l’arrêt de les condamner alors que le prêt professionnel n’étant pas un contrat réel c’est dans l’obligation souscrite par le prêteur que l’emprunteur trouve sa cause.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION


«Vu l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
Il ressort de ce texte que, le prêt consenti par un professionnel du crédit n'étant pas un contrat réel, c'est dans l'obligation souscrite par le prêteur que l'obligation de l'emprunteur trouve sa cause, dont l'existence, comme l'exactitude, doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat.
Pour rejeter la demande tendant à l'annulation du prêt à l'égard de [E] [M] pour absence de cause, l'arrêt retient que le fait que celle-ci soit un tiers à l'entreprise de son époux et que les fonds aient une destination professionnelle importent peu dès lors que son obligation de restitution trouve sa cause dans la remise des fonds, qu'en sa qualité de co-emprunteur, elle a sollicitée avec son époux, et qui constitue la raison immédiate les ayant conduit à souscrire le prêt. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION


Le contrat de prêt n’est pas un contrat réel. Nous le savons depuis les arrêts de la première chambre civile en date du 27 mai 1998 – 96-17312 - 28 mars 2000 – 97-21422 – ce type de prêt est consensuel : Cassation civile 1.14 janvier 2010-08-13160 – Sur les éventuelles incidences en ce qui concerne l’obligation ou pas de la banque de surveiller l’affectation des
fonds voir Cassation commerciale 14 Mars 2018 – 16-27815 -
C’est sur le terrain de la cause que les héritiers de l’épouse se sont placés pour fonder leur demande de nullité du prêt à leur égard.
Le prêt était destiné à financer une activité professionnelle à laquelle l’épouse était étrangère et que de surcroît elle était séparée de biens. Dès lors la question de la cause était fort opportune.
C’est l’article 1131 ancien qui est visé par la cour régulatrice qui disposait « L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »
Dans notre affaire la restitution des fonds ne pouvait être la cause de l‘obligation de l’épouse (de ses héritiers) dans la mesure où ce type de prêt n’étant pas un contrat réel il fallait aller recherche la cause ailleurs.
C’est dans le concept de contrepartie que la cour d’appel aurait pu le trouver si du moins les époux avaient été mariés sous le régime de la communauté ce qui n’était pas le cas ou si l’épouse avait participé à l’activité professionnelle ce qui n’était pas le cas non plus. Nous retrouvons cette figure juridique dans l’engagement que les banques sollicitent de la part de coindivisaires participant ou garantissant un financement dont ils ne profitent pas.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Première Chambre Civile, 29 juin 2022. Pourvoi n° 21-15082. Publié au bulletin. LEDB N° 9 OCTOBRE 2022 PAGE 3