FAITS

En 2013 deux personnes créent une société B, holding au capital de 50 000 € dont ils sont co gérants et associés à parts égales. Ils procèdent ensuite à l’acquisition de 90 % du capital social de la société Technipac exploitant un fonds de commerce de plomberie sanitaire, installation d’équipement, les 10 % restant sont détenus par une autre associée.

Le financement de cette acquisition est effectué au moyen d’une dette sénior pour un montant de 175 000 € garanti par un engagement de caution des deux co gérants limités à 43 750 €.

Les co gérants de la holding le sont également de la société d’exploitation dite « cible ».

Le 3 octobre 2018 le tribunal de commerce d’Annecy ouvre une procédure de liquidation judiciaire de la cible et du holding.

Les opérations de liquidation font apparaître une insuffisance d’actif de 180 384, 51 € ramenée par la suite à 165 076,12 €.

La liquidation judiciaire est clôturée pour insuffisance d’actif le 28 Août 2019.

Le mandataire liquidateur fait assigner les dirigeants des deux structures en comblement de passif et en paiement de la somme de 180 384,51 €.

Le ministère public émet un avais favorable à l’action en responsabilité et le 3 Août 2021 le tribunal de commerce d’Annecy condamne les dirigeants à combler le passif à concurrence de la somme de  165 076,12 €.

C’est cette décision qui est frappée d’appel devant la cour de Chambéry.

Les dirigeants estiment n’avoir commis aucune faute de gestion.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« Toutefois, si le montage financier par lequel ils ont acquis les parts de la société Technipac par l'intermédiaire de la société B., avec emprunt souscrit par celle-ci, remboursé par le versement de dividendes de la société fille à la société mère, est parfaitement légal, il en va autrement lorsque les prélèvements effectués par la société mère dans les comptes de la société fille excèdent les capacités de cette dernière et ont pour effet de la mettre en difficulté…

C'est à juste titre que le tribunal a relevé sur ce point que le compte courant débiteur de la société B. dans les comptes de la société Technipac de 139.873 € est très élevé puisqu'il représente 2,6 fois les fonds propres de l'entreprise selon les comptes arrêtés au 30 septembre 2017, ou encore 50 % de la marge brute de l'exercice 2016/2017, et 67 % du passif total déclaré.

En outre, aucune convention de trésorerie n'a été régularisée entre les deux sociétés et le tribunal a relevé à juste titre qu'aucune rémunération du compte courant débiteur de la société B. n'a été prévue, de sorte que les transferts de fonds n'avaient aucune contrepartie pour la société Technipac.

Le fait que la société B. a pu rembourser une partie significative du prêt a également pour conséquence que l'engagement de caution des dirigeants à l'égard de la banque en a été diminué d'autant. ….

En outre, il apparaît que le compte courant de M. B. dans la société Technipac, qui s'élevait à 40.988 € au 30 septembre 2016, lui a été partiellement remboursé en 2017, de sorte que, contrairement à ce qu'il prétend, il n'a pas versé plus de 20.000 € en 2017, mais s'est au contraire remboursé à concurrence de 20.373 € de ce compte courant.

Enfin, l'argument selon lequel les deux sociétés seraient interdépendantes, de sorte que les dettes transférées à la société Technipac auraient inévitablement été retrouvées dans la société B. sans l'existence du compte courant débiteur, est inopérant. En effet les deux entités sont bien distinctes et, si la société B. ne pouvait exister sans la société Technipac qui la finançait entièrement, tel n'est pas le cas dans l'autre sens, la société d'exploitation générant ses propres revenus. ….

Dès lors qu'ils ont constaté que l'activité de la société Technipac n'était pas suffisante pour permettre le versement de dividendes, il leur appartenait de cesser les prélèvements de trésorerie, ce qui aurait permis de sauvegarder l'activité de la société Technipac. Si cela aurait été au détriment de la société B., il faut rappeler que la holding n'a aucune activité économique, puisque destinée seulement à l'acquisition des parts sociales, contrairement à la société Technipac, qui emploie en outre des salariés.

Aussi, c'est par des motifs pertinents que la cour approuve que le tribunal retenu que les fautes de gestion commises par M. B. et M. A. L'O. sont établies… »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Le LBO a les honneurs de la jurisprudence. C’est rare.

Que nous dit la cour d’appel en confirmant le jugement du tribunal de commerce d’Annecy ?

Tout d’abord que le montage LBO est licite. Cela paraît une évidence mais il est si décrié qu’il était logique que la cour le note.

Ensuite que la faute du dirigeant est caractérisée dès lors que les seules remontées de dividendes s’avèrent insuffisantes à amortir la dette sénior de sorte que d’autres prélèvements – en général suspects - prennent le relai. La cour note au passage qu’aucune convention de trésorerie n’existait entre le Holding et la cible.

Puis la cour fait litière de l’argument tenant au groupe de sociétés dans la mesure ou chacune existe et possède une personnalité propre qui la rend autonome et donc responsable.

Au passage elle note que le remboursement de la dette sénior par ces prélèvements a permis de réduire les montants des engagements de caution – petit clin d’œil au désengagement des dirigeants à peu de frais –

La faute est donc qualifiée par la cour qui confirme la condamnation au comblement de l’insuffisance d’actif que la cour réduit au passage.

Rappelons que la décision de verser des dividendes doit être prise au regard des résultats de l’entreprise et non pas d’un engagement pris dans un montage LBO : Cassation commerciale 9 septembre 2020 – 18-12444 –

Sur la cohabitation entre une convention de gestion de trésorerie et une opération de LBO voir Cassation commerciale 16 décembre 2014 – 13-24161 -

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source : CA Chambery, 15 février 2022. RG 21/01781.