FAITS

Une cliente d’une banque, de condition et de revenus modestes, effectue une série de virements, tous provisionnés, aux fins d’investissements pour le moins exotiques au profit de Saint John Gem Limited, Best Diam K et Revenu Global Money pour une somme totale de plus de 70 000 € et ce après avoir clôturé son compte d’épargne pour effectuer ces opérations.

Ses investissements s’avèrent décevants, suffisamment pour qu’elle dépose plainte qui sera classée sans suite pour impossibilité d’identifier les auteurs de l’infraction.

Démunie. La cliente se retourne vers sa banque pour lui reprocher un manque de vigilance en exécutant lesdits virements et en lui demandant le remboursement via une procédure indemnitaire. Le tribunal judiciaire de Cherbourg déboute la demanderesse qui interjette appel.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« En l'absence d'anomalie apparente, le devoir de non ingérence limite le contrôle du banquier qui ne doit pas surveiller les mouvements du compte de son client ni s'immiscer dans ses affaires. Il n'est pas discuté que Mme R. est l'auteur des ordres de paiement litigieux, lesquels sont parfaitement authentiques. Le virement est une convention entre un donneur d'ordre et la banque tenant le compte à débiter. Dans ce cadre, la banque doit procéder à la vérification :

- du donneur d'ordre : il s'agissait en l'occurrence de Mme R., titulaire du compte à débiter qui s'est déplacée à la banque pour procéder aux différentes opérations de virement, permettant ainsi à la banque de vérifier la volonté de cette dernière dont l'état de vulnérabilité n'est pas caractérisée, le certificat médical versé au dossier reliant sa ' vulnérabilité ' à une procédure de divorce compliquée mais ne faisant état d'aucune incapacité de gérer ses affaires,

- l'état du compte afin de s'assurer notamment qu'il permet la couverture du virement demandé, ce qui est le cas en l'espèce, Mme R., au vu de ses relevés bancaires, ayant effectué des virements de ses comptes épargne vers son compte courant pour couvrir ses virements à l'étranger…….

Il est tout aussi constant que ce n'est pas le Crédit Mutuel qui a conseillé à Mme R. l'investissement réalisé et qu'il n'a pas même servi d'intermédiaire puisque aux termes de ses écritures, l'appelante indique que ' Mme R. a été en contact en mai 2017 avec la société GEMEXPRO, société se présentant comme fournissant des diamants d'investissements ».

Tiers à l'investissement, la banque n'était pas tenue de la mettre en garde sur le produit proposé, n'avait pas à rechercher les causes des virements effectués par sa cliente et d'exercer un contrôle sur les destinataires. Aucune anomalie apparente manifestant le caractère frauduleux de l'ordre de paiement n'a ainsi pu alerter la banque et mettre à sa charge une obligation de vigilance.

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La cour d’appel de Caen nous propose une décision classique et ne se laisse pas prendre par le piège qui lui était tendu.

La décision est classique

En effet, sauf anomalie apparente la banque n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client ni à s’interroger sur les raisons de l’opération sauf pour des motifs, limités, tenant au blanchiment d’argent ou précisément à des anomalies apparentes.

Ce principe est mainte fois rappelé par la cour régulatrice et appliqué sans sourciller par les cours et tribunaux : En ce sens Cassation commerciale 13 avril 2010 – 09-13712 – 13 Février 2019 – 18-10585 – 22 Janvier 2020 – 09-13712 –

Quand la jurisprudence se laisse tenter par des solutions plus intrusives c’est à cause d’une convention particulière entre la banque et le client : en ce sens pour un compte carte voir Cassation commerciale 1 juillet 2003 – 00-18650 – «  Attendu qu’en se déterminant par ces seuls motifs, sans rechercher si L’AMEX ( Américan express) n’avait pas commis de faute en ne vérifiant pas si les dépenses litigieuses, en l’absence de  plafond, ne présentaient pas à l’examen du «  compte carte » un caractère anormal ou inhabituel, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision… »

Les anomalies intellectuelles sont venues parfois restreindre ce principe de non immixtion. Il s’agit de celles qui mettent en jeu des ordres de paiement réguliers dans la forme mais qui recèlent une anomalie intellectuelle. C’est le cas quand la banque laisse un compte fonctionner 23 jours avec des retraits journaliers de 3000 francs alors que l’autorisation n’est que de ce montant . Cassation commerciale 6 février 2007 – 05-14872 – Même rubrique ; Pour une opération jugée anormale pour un client particulier voir Cour d’appel de Pau 20 mars 2008 – RG 07/00407.

Le négatif de ce principe est la non participation à des opérations manifestement illicites. Sur cette question voir Cassation commerciale 13 Février 2019 – 17-28530 – Sur la difficulté à cerner le concept voir Cassation commerciale 12 Juillet 2017 – 15-27891 – voir aussi Cassation commerciale 11 Mai 2010 – 09-67131-

La cour d’appel ne se laisse pas prendre au piège.

Dans le débat figurait un courriel de la banque en date du 25 Août 2017 qui attirait l’attention de la cliente sur le caractère risqué de l’opération et l’invitait à ne pas y donner suite.

Cela pouvait apparaître comme d’une part la connaissance par la banque du caractère illicite de l’opération et ensuite comme le début de l’exécution de son devoir de mise en garde.

La cour répond en ces termes « La réalité matérielle du courriel du 25 août 2017 est établie par les pièces versées au débat mais sa prise de connaissance par le destinataire ne relève pas de la responsabilité de la banque. Son contenu justifie que lors du rendez-vous du 24 août, le banquier a nécessairement évoqué l'objet du placement envisagé par Mme R. qui avait déjà effectué un premier virement de 3 214,09 euros le 20 juin 2017 au profit de St John Gem Limited .Mme R. a néanmoins continué à transférer des fonds lui appartenant en toute connaissance de cause, ce dont le Crédit Mutuel ne peut être responsable.» Quant au dernier argument tenant au fait que la banque n’aurait pas respecté ses obligations en matière de lutte anti blanchiment la réponse de la cour est dans la ligne de la jurisprudence en la matière qui ne s’est jamais démentie. Elle répond que la réglementation sur la lutte anti blanchiment est une mesure de protection générale dont l’inobservation ne peut être reprochée par un plaideur. La sanction ne peut être que disciplinaire. Sur cette question de la réglementation sur la lutte anti blanchiment voir avec profit : Cassation criminelle 4 Mai 2011 – 10-84456 – 17 Novembre 2010 – 09-88751 et 26 mai 2010 – 09-15237 -

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source : CA. de Caen, 10 février 2022, RG 20/02437. L'essentiel du droit bancaire n°4, avril 2022, page 2.