FAITS

Ils alimentent régulièrement la juridiction présidentielle. Une société étrangère en l’espèce iranienne (compagnie aérienne) s’est vue clôturer son compte bancaire en France par la société générale. Elle saisit la Banque de France au titre du droit au compte qui enjoint à la banque postale de lui ouvrir un compte ce qu’elle fait avant de le clôturer quelques années plus tard. La société iranienne sollicite de nouveau la banque de France au même titre qui enjoint (contrairement à sa pratique) à la même banque postale de lui ouvrir un autre compte ce que celle-ci se refuse à faire. La banque de France demande au crédit coopératif d’ouvrir ledit compte à cette société ce qu’il se refuse également à faire.

La société assigne devant le juge des référés parisien toutes les banques concernées ainsi que la Banque de France aux fins d’obtenir sous astreinte de 10 000 € par jour de retard l’ouverture dudit compte.

Le Président du tribunal le 3 décembre 2020 dit n’y avoir lieu à référé.

Appel est interjeté et l’affaire vient en l’état devant la cour.

La société prétend en substance a un trouble manifestement illicite et à un dommage imminent.

Les banques (hormis la Banque de France qui a été passive) entendent se mettre sous la protection des différentes législations en l’occurrence celles sur le blanchiment d’argent mais aussi ce qui est nouveau celle sur le non respect de la procédure de désignation des bénéficiaires effectifs.

Un autre élément important a été mis dans le débat par les banques qui prétendaient que la société en question disposait par ailleurs d’un autre compte bancaire qui fonctionnait.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« Sur le dommage imminent

La société Iran Air ne saurait se prévaloir d'un dommage imminent :

- ni au titre de la fermeture du compte du 17 septembre 2018, cette fermeture étant intervenue le 17 septembre 2018 et ne pouvant, en raison du délai écoulé, caractériser l'imminence d'un dommage ;

- ni au titre du refus d'ouverture d'un nouveau compte, la compagnie aérienne iranienne, qui poursuit son activité, ne pouvant sérieusement soutenir qu'elle ne dispose d'aucun moyen de paiement depuis la fermeture de son compte postal, soit depuis le 17 septembre 2018.

Sur le trouble manifestement illicite

S'il n'est pas discutable que la privation, pour une société commerciale, d'un compte de dépôt est de nature à créer une perturbation, la fermeture du compte et le refus d'ouverture d'un nouveau compte par la Banque postale ne constituent pas une violation évidente de la règle de droit, dès lors que :

- si l'article L. 312-1 I du code monétaire et financier consacre un droit au compte, ce droit n'est nullement absolu en ce qu'il doit être concilié avec :

- la liberté du banquier, les opérations de banque étant, en effet, des contrats comportant un intuitu personae marqué, dans la mesure où elles reposent fondamentalement sur la confiance entre les parties, de sorte que le banquier doit avoir la liberté de choisir son cocontractant ;

- les conditions posées par le code monétaire et financier, notamment en son article L. 312-1 I selon lequel le droit au compte s'exerce sous réserve que le bénéficiaire de ce droit soit dépourvu d'un tel compte en France, ce qui n'est pas le cas d'Iran Air qui reconnait (page 14 de ses conclusions) disposer, auprès de la banque Bank Melli Iran, d'un compte dont elle ne démontre pas dans quelle mesure il ne lui offrirait pas les services bancaires de base, l'appelante se bornant à affirmer que la banque iranienne ne lui garantirait pas les services minimums ;

- l'établissement de crédit pouvait, conformément aux dispositions de l'article L. 312-1 IV 4° du code monétaire et financier, résilier unilatéralement la convention de compte de dépôt ouvert en application du droit au compte, alors qu'Iran Air dispose d'un deuxième compte de dépôt en France ;

- la Banque postale était fondée à opposer à Iran Air les dispositions de l'article L. 561-8 I du code monétaire et financier - applicable, en vertu du II du même article, lorsque l'établissement de crédit a été désigné dans le cadre du droit au compte - sur les dispositions régissant la lutte contre blanchiment et contre le financement du terrorisme prévues par les articles L. 561-5 ou L. 561-5-1 du même code, l'appelante ne contestant pas ne pas avoir renseigné le formulaire d'identification des bénéficiaires effectifs et d'auto certification FATCA/EAI que lui avait adressé la banque le 4 décembre 2018 (pièce Banque postale n°5), alors que les articles L. 561-5, I et L. 561-6 du code monétaire et financier imposent l'identification du client, du bénéficiaire effectif et de l'objet de la relation d'affaires.

La société Iran Air n'est enfin pas fondée à soutenir que la privation de l'accès au réseau Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) constituerait un trouble manifestement illicite, alors qu'un tel accès ne relève pas des services bancaires de base tels que listés à l' article D. 312-5 du code monétaire et financier, par renvoi de l'article D. 312-5-1 du même code, et n'est nullement de droit.

En l'absence de démonstration d'une violation évidente de la règle de droit, le trouble manifestement illicite invoqué ne se trouve pas caractérisé. L'ordonnance entreprise sera confirmée sur ce point. Elle sera également confirmée sur les condamnations accessoires.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Les banquiers font de la résistance.

Il faut dire qu’entre le droit au compte, la réglementation sur la lutte anti blanchiment, celle sur les bénéficiaires effectifs et l’obligation de non participation aux opérations manifestement illicites leur marge de manœuvre est étroite voire exigüe.

Nous écrivions dans cette même rubrique à propos de l’arrêt de la cour de cassation en date du 30 juin 2021 – 19-14313 – que le droit au compte avait ses limites.

Le trouble manifestement illicite aussi.

Car dans notre affaire c’est le juge des référés qui a été saisi comme assez fréquemment.

La société prétendait à ce trouble au motif qu’elle ne pouvait plus accomplir aucune opération.

Sur le principe elle pouvait prétendre être titulaire de ce droit au compte puisque l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier consacre ce droit désormais également pour les personnes morales et la BNPP a échoué dans sa tentative de faire juger cette disposition anticonstitutionnelle. Conseil d’Etat 10 septembre 2014 n° 381183.

En revanche l’argument principal retenu par la cour est celui de la titularité d’un autre compte dans une autre banque par l’intermédiaire duquel ladite société pouvait effectuer toutes les opérations qu’elle souhaitait.

L’article précité du code monétaire et financier demandant la preuve que le demandeur ne dispose pas déjà d’un compte bancaire.

Nous ne comprenons pas que cette société aérienne ait ainsi fragilisé sa position. Quoiqu’il en soit la cour le note.

Elle note aussi et la remarque est importante car elle permet aux banques de prendre date sur cet argument de la lutte anti blanchiment que la société n’avait à l’évidence pas respectée en ce qui concerne les bénéficiaires effectifs.

La cour d’appel le fait en des termes généraux permettant d’espérer une jurisprudence future sur ce point. Elle nous parle « d’intuitu personae » qu’elle rattache au «trouble manifestement illicite» pour l’en exclure.

Sur cette question de la réglementation sur la lutte anti blanchiment voir avec profit : Cassation criminelle 4 Mai 2011 – 10-84456 – 17 Novembre 2010 – 09-88751 et 26 mai 2010 – 09-15237.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA Paris 30 juin 2021, RG 20/18606, L’essentiel du droit bancaire n°9, octobre 2021, page 2.