FAITS

Un client agriculteur de son état a souscrit quatre emprunts à caractère professionnel auprès d’une banque. Il a adhéré à l’assurance de groupe souscrite par la banque auprès de la CNP garantissant le risque de décès et d’incapacité temporaire totale de travail pour tous les prêts ainsi que le risque d’invalidité absolue et définitive pour l’un des prêts et le risque perte totale et irréversible d’autonomie pour les trois autres.

A la suite d’un accident du travail ayant provoqué des hernies discales avec lombo-sciatalgie et empêché la poursuite de son activité professionnelle, l’assureur invoquant les exclusions de garantie relatives aux pathologies lombaires a refusé la prise en charge des échéances des prêts.

Le client assigne banque et assureur sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

La cour d’appel de Montpellier le 18 septembre 2019 le déboute et il se pourvoit en cassation au motif essentiel pour ce qui nous concerne du manquement de la banque et de l’assureur à leur obligation d’éclairer le client sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu l'article 1147, devenu 1217, du code civil et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

Il résulte de ce texte que la banque, qui propose à son client auquel elle consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'elle a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.
Il se déduit du principe susvisé que toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé.
Pour rejeter la demande d'indemnisation de la perte de chance alléguée en raison des manquements de la banque à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient que, pour chacun des prêts, la demande d'adhésion portait une exclusion dont l'emprunteur était parfaitement informé pour avoir dûment signé et paraphé chacune de ces demandes, qu'il ne peut donc être utilement reproché au prêteur ne pas l'avoir informé de ces clauses d'exclusions, que M. [N] a déclaré, dans le questionnaire de santé, n'avoir pas subi de lumbagos ou de sciatiques et qu'en sa qualité d'agriculteur, il était mieux placé que la banque pour connaître les pathologies auxquelles sa profession l'exposait particulièrement et que s'il s'estimait particulièrement soumis à un risque de lombalgies et sciatalgies, il a néanmoins signé, à quatre reprises, les différentes demandes d'adhésion, sans même s'enquérir de la possibilité d'assurer les prêts avec une meilleure couverture des risques mais avec la contre-partie de primes d'assurances plus élevées.
En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la perte de chance alléguée par M. [N], et alors qu'il appartenait à la banque d'éclairer l'emprunteur sur l'adéquation de la garantie proposée aux risques auxquels l'exposait son activité professionnelle, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La jurisprudence s’est définitivement cristallisée sur cette problématique à la suite d’un arrêt de l’assemblée plénière en date du 2 Mars 2007 – 06-15267.

Depuis cette date les arrêts se suivent dans le même sens, voire plus rigoureux : Cassation commerciale 13 Avril 2010 – 08-21334 ; 1 Décembre 2015 – 14-22134 –Civile 2. 8 Décembre 2016 – 14-29729. Elle faisait une exception pour l’emprunteur qui apportait une assurance extérieure pour laquelle le banquier financeur ne pouvait être débiteur de quelque obligation d’information ou de conseil que ce soit : Cassation civile 1. 20 Septembre 2017 – 16-19676.

Parfois elle estime l’éclairage suffisant : Cassation commerciale 11 Juin 2014 – 13-17273. Parfois elle prolonge cette obligation durant la vie même du contrat d’assurance : Cassation commerciale 5 septembre 2018 – 17-15866.

Pour la détermination de l’assiette du préjudice voir avec profit Cassation commerciale 10 Mars 2021 – 19-16302.

Le 20 Mai 2020 – 18-25440 – la Cour régulatrice rappelle que « toute perte de chance ouvre droit à réparation… » ce que met en doute le commentateur de l’arrêt Marc MIGNOT.

Sur cette décision qu’on en juge : l’emprunteur avait été parfaitement informé de l’exclusion qu’il avait dûment signée et paraphée, qu’il avait indiqué n’avoir subi aucun lumbago ni aucune sciatique et qu’il ne s’était jamais enquis d’une meilleure couverture assurance et que comme le note les magistrats de la cour d’appel, il connaissait mieux que la banque les risques liés à son activité professionnelle.

En l’espèce, la probabilité pour l’emprunteur de souscrire une garantie adéquate était fort limitée.

En clair que devaient faire banquier et assureur pour satisfaire à leur obligation ?

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Civ. 2ème 17 juin 2021, pourvoi n°19-24467, publié au bulletin, L’essentiel du droit bancaire n°8 septembre 2021, p.6

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