FAITS

Une société A, maître d’ouvrage, signe avec une société B un marché de travaux pour le lot charpente-couverture bardage de la construction d’un ensemble immobilier de 15 logements et commerces dénommée Aspen Lodge pour un montant total de 614 368,71 € TTC.

La société B cède à sa banque la créance détenue au titre du marché et celle-ci est régulièrement payée des états d’avancement du marché jusqu’à une quatrième facture d’un montant de 76 020,20 € qui fait l’objet d’un certificat de paiement qui permet à la société B d’établir une nouvelle cession au profit de sa banque.

La société débitrice ne paie pas cette situation de travaux et est admise à la procédure de sauvegarde par jugement en date du 4 février 2014.

La banque assigne la société débitrice en paiement devant le tribunal de commerce d’Annecy qui le 13 Mars 2020 la condamne en partie au titre de la facture querellée.

La société interjette appel au motif entre autre que la preuve de la notification n’est pas rapportée notamment par la production d’une lettre recommandée avec accusé de réception.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« Le Crédit Agricole produit aux débats un courrier daté du 22 novembre 2013 adressé à la société Aspen Lodge portant notification de la cession de créances de la totalité du marché conclu avec la société CMB, avec interdiction faite au débiteur cédé de payer au cédant, et ce conformément aux textes précités. Ce courrier, dont il est indiqué qu'il est envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception, n'est accompagné d'aucun avis de réception signé par le destinataire.

Toutefois, il est constant, et d'ailleurs non contesté par la société Aspen Lodge, que cette dernière a bien eu connaissance de la cession de créance du 15 novembre 2013, puisqu'elle a payé directement au Crédit Agricole les trois premières situations de travaux présentées par la société CMB, et ce dès le 18 novembre 2013 pour la première.

Si le Crédit Agricole ne produit pas d'accusé de réception du courrier de notification au débiteur cédé, pour autant, la production de ce courrier, et l'exécution spontanée de la cession de créances par la société Aspen Lodge prouve que cette dernière avait bien connaissance de l'interdiction qui lui était faite de payer au cédant.

Cette connaissance est encore confirmée par la mise en demeure adressée à la société Aspen Lodge par lettre recommandée du 19 mars 2014, reçue le 21 mars 2014, dans laquelle la banque rappelle l'existence d'une cession de créances, quand bien même la cession visée est celle du 14 janvier 2014.

En outre, à la suite de la mise en demeure précitée, la société Aspen Lodge a répondu par courrier électronique du 9 mai 2014, sans contester l'existence de la cession de créances, mais en mettant en avant d'autres contestations qui ne sont pas renouvelées dans la présente instance (sous-traitant non déclaré, assurance des sous-traitants non justifiés, pénalités de retard).

La cession de créances du 15 novembre 2013 portant sur l'intégralité du marché de travaux, la cession complémentaire datée du 14 janvier 2014 n'a pas pour effet d'annuler la précédente, ces deux cessions portant en réalité sur la même créance. En tout état de cause, la cession du 14 janvier 2014 n'ayant pas été notifiée à la société Aspen Lodge, la première cession a conservé toute sa force obligatoire à son égard.

Il résulte de ce qui précède que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la cession de créances du 15 novembre 2013 est opposable à la société Aspen Lodge.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Ad validitatem ou ad probationem ?

Ad probationem nous dit implicitement la cour d’appel de Chambéry.

Il est vrai que la totalité du marché lui avait été notifiée et qu’elle avait payé les différentes situations de travaux.

Ces éléments suffisent aux magistrats pour entrer en voie de condamnation contre la société débitrice cédée alors même que la lettre recommandée faisait référence à un avis de réception qui n’était pas produit aux débats.

Sur cette problématique de l’avis de réception nous savons désormais que la mise en demeure n’est pas un acte de nature contentieuse : Cassation civile 1. 20 Janvier 2021 – 19-20680 – et que sauf dispositions législatives spécifiques il s’agit d’un fait juridique dont la preuve peut être rapportée par tout moyen : Cassation civile 1. 17 Février 2021 – 19-21615.

Cette décision commentée est très opportune dans la mesure ou la cession de créances professionnelles se veut être souple, rapide, efficace et les praticiens comprendraient mal que le créancier ne puisse rapporter la preuve de la connaissance de la cession et de l’interdiction contenue dans la notification ne puisse être faite par tout moyen. D’ailleurs l’article R. 313-15 du code monétaire et financier n’exige aucune forme sacramentelle pour la notification dès lors qu’elle comporte les énonciations voulues par le législateur, copiant ainsi quelque peu la forme voulue pour les effets de commerce : Cassation commerciale 21 Septembre 2010 – 09-11707.

La notification n’est pas une atteinte à l’interdiction des paiements en matière de procédures collectives : CA Versailles 28 Février 2013  RG 12/06573 et Cassation commerciale 7 décembre 2004 – 02-20732.

Rappelons que la notification emporte interdiction de payer en d’autres mains qu’en celles du cessionnaire ( une banque) et qu’à défaut le débiteur cédé prend le risque de payer deux fois. Par contre les droits acquis par le cessionnaire ne peuvent être que ceux existant à la cession : Cassation commerciale 11 Juillet 2006 – 04-15335 – et 17 décembre 2013 – 12-26706.

La morale de cette histoire est simple : Le cessionnaire peut apporter la preuve de la réception de la notification prévue à l’article L 313-28 du code monétaire et financier par tout moyen ce que les banque s’emploient à faire.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique chez Case Law Analytics

Source : CA Chambéry 16 mars 2021, RG 18/00755, L’essentiel du droit bancaire n°5, mai 2021, page 2

Crédit photo : Florian Pépelin CC-BY-SA 3.0