FAITS

Selon l'arrêt attaqué (Reims, 15 mai 2018), le 21 juillet 2009, M. et Mme [S (les emprunteurs) ont accepté une offre de prêt de la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé « Helvet immo ». Le prêt leur a été proposé par M. [Y], en vertu d'un mandat d'intermédiaire en opérations de banque conclu, le 5 avril 2009, avec la banque. Invoquant la violation des règles relatives au démarchage bancaire, le dol et le manquement de la banque à son obligation d'information, les emprunteurs ont assigné celle-ci en nullité du contrat de prêt et en indemnisation. En appel, ils ont allégué le caractère abusif de la clause de monnaie de compte.

La cour d’appel n’a pas suivi les demandeurs et a jugé que la banque n’avait commis aucun dol qu’elle avait parfaitement rempli son obligation d’information et que la clause ne présentait aucun caractère abusif.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt énonce que l'offre de prêt indique que le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises, que, dès réception de l'acceptation de l'offre, le prêteur ouvrira un compte interne en euros et un compte interne en francs suisses au nom de l'emprunteur pour gérer le crédit dont le fonctionnement est expliqué, que l'offre de prêt précise qu'il s'agit d'un prêt en francs suisses qui ne peut être remboursé qu'en euros, de sorte qu'il est expressément convenu et accepté que les frais de change occasionnés par les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses, nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, font partie intégrante des règlements en euros et des opérations de changement de monnaie de compte. Il constate que l'offre indique que le montant du prêt est fixé selon le taux de change de 1 euro contre 1,5057 francs suisses, taux invariable jusqu'au déblocage complet du crédit, que le tableau d'amortissement a été établi sur la base de ce taux de change et qu'au cours de la vie du crédit, les opérations de conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes, de conversion en euros du solde débiteur du compte interne en francs suisses, en cas d'option de changement de monnaie, et de conversion en francs suisses du remboursement en euros en cas de remboursement anticipé, seront réalisées par le prêteur. Il relève que l'offre explique qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, le franc suisse pourra à tout moment et unilatéralement être changé par le prêteur et remplacé par l'euro, ces opérations de change étant effectuées au taux de change euros contre francs suisses applicable deux jours ouvrés avant l'opération, taux de change de référence publié sur le site internet de la Banque centrale européenne. Il retient que le contrat explique les modalités de remboursement du crédit et décrit le système d'amortissement du capital, en stipulant que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels de l'emprunteur, que, s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance du crédit sera inscrite au solde débiteur du compte interne en francs suisses, tandis que, s'il résulte de l'opération de change une somme supérieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera plus rapide, ainsi que le remboursement, et qu'en tout état de cause, les opérations de crédit sur le compte en francs suisses seront affectées prioritairement au paiement des intérêts de l'échéance et à l'amortissement du prêt. Il ajoute qu'est également expliqué l'effet des variations du taux d'intérêt, tous les trois ans, sur le montant des mensualités de remboursement, qui reste inchangé, ainsi que sur la durée du crédit, étant précisé que le prêt peut être allongé pour une durée limite de cinq ans, et qu'il est encore expliqué comment l'emprunteur peut, tous les trois ans, lors de la révision du taux, choisir d'opter pour une monnaie de compte en euros, soit avec un taux fixe en euro, soit avec un taux variable en euro.

En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ... »


MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La banque avait quand même expliqué comme le note la cour.

«Il retient que le contrat explique les modalités de remboursement du crédit et décrit le système d'amortissement du capital, en stipulant que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels de l'emprunteur, que, s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance du crédit sera inscrite au solde débiteur du compte interne en francs suisses, tandis que, s'il résulte de l'opération de change une somme supérieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera plus rapide, ainsi que le remboursement, et qu'en tout état de cause, les opérations de crédit sur le compte en francs suisses seront affectées prioritairement au paiement des intérêts de l'échéance et à l'amortissement du prêt. Il ajoute qu'est également expliqué l'effet des variations du taux d'intérêt, tous les trois ans, sur le montant des mensualités de remboursement, qui reste inchangé, ainsi que sur la durée du crédit, étant précisé que le prêt peut être allongé pour une durée limite de cinq ans, et qu'il est encore expliqué comment l'emprunteur peut, tous les trois ans, lors de la révision du taux, choisir d'opter pour une monnaie de compte en euros, soit avec un taux fixe en euro, soit avec un taux variable
en euro. ...»

Pour la cour régulatrice la cour d’appel aurait dû rechercher si « la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat...»
En règle générale la jurisprudence prend en compte le caractère spéculatif ou non de l’opération ainsi que la qualité de l’emprunteur selon qu’il est profane ou averti ce que la cour ne fait pas présentement. Cassation civile 1. 24 octobre 2019 – 18 12255- publié au bulletin et Cassation civile 1 29 Mars 2017 – 16-13050 -

Le législateur a été saisi de cette question des emprunteurs en devises: Loi de séparation et de régulation bancaire du 26 juillet 2013 et l’ordonnance du 25 mars 2016 (Articles L 313-6 et R 312-5 du code de la consommation) vient renforcer la protection de l’emprunteur en devises notamment par une information plus spécifique. La question reste pourtant entière pour les juges du fond qui doivent faire apparaître la parfaite et totale information de l’emprunteur. Nous confirmons ...c’est le mythe de Sisyphe...

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Première Chambre Civil, 20 avril 2022. Pourvoi n°19-11599, publié au bulletin.