Fruit de la volonté du bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, cette journée du numérique, réunissant avocats et legaltechs, a permis à tous de se retrouver pour un temps d’échanges autour de thématiques comme la productivité, l’usage des outils, l’e-déontologie et la place de l’humain.

C’est autour de ce dernier sujet que Case Law Analytics a souhaité construire la plénière de clôture qu’elle a co-organisée : « Digitalisation, droit, justice : est-il possible de faire naître de l’inévitable des opportunités ? L’humain au cœur des solutions ». Parce que si nous ne savons pas quand “l’avalanche numérique” se produira, il est certain qu’elle aura bien lieu. Et tous les intervenants se sont accordés sur le fait que l’humain doit être placé au cœur des débats, comme l’a rappelé Stéphane Prévost, rédacteur en chef de la revue Dalloz IP/IT, en introduction.

La plénière réunissait :

  • Christiane Féral-Schuhl, avocate, médiatrice, ancienne présidente du CNB, ancienne bâtonnier de Paris,
  • Jacques Lévy Véhel , mathématicien, Case Law Analytics,
  • Denis Musson, membre de Paris place de droit, médiateur, ancien président du Cercle Montesquieu,
  • Fabrizio Papa Techera, Directeur Général Délégué de Lexbase,
  • Myriam Quéméner, avocat général près la cour d’appel de Paris, docteur en droit,
  • Jeoffrey Vigneron, avocat au barreau de Bruxelles, Lawgitech.

Tous passionnés par les questions relatives à la transformation numérique et à son impact sur la pratique de l’avocat et plus généralement des professionnels du droit, ils ont échangé sous la modération de Stéphane Prévost.

A quoi ressemblera l’avocat de demain et comment travaillera-t-il ?

Si l’intérêt du numérique n’est pas discutable parce qu’il crée des opportunités, une valeur ajoutée et un exercice différent dont l’avocat doit s’emparer, « il ne faut pas toucher à certaines zones sanctuarisées de manière à ne jamais perdre l’humanisme juridique » rappelle Christiane Féral-Schuhl. Pour Myriam Quéméner, qui partage ce point de vue, « tout dépend du contentieux et le numérique ne nuit pas nécessairement au maintien de l’humain. ». Les outils existent et il n’y a pas de raison que les avocats ne les utilisent pas, surtout à l’heure où les juridictions sont engorgées et le recours à la méditation encouragé. « S’ils respectent certaines règles, ces outils contribuent à l’amélioration du système judiciaire, poursuit Jacques Lévy Véhel. Il faut les démystifier et apprendre aux avocats à s’en servir afin d’expliquer quel est leur vrai rôle ».

Denis Musson, lui, milite pour la numérisation de l’industrie du droit, y compris de la justice. « En entreprise, nous avons été poussés à trouver des gains d’efficience et d’efficacité partout où ils existent, pas forcément pour des questions de coûts mais parce que la vie des affaires nécessite une vitesse de traitement, explique-t-il. Dans certains domaines, la visioconférence permet à toutes les personnes concernées de participer et d’apporter des éléments utiles à la résolution des litiges ».

Côté avocat, « il faut réfléchir à ce qu’il est possible de numériser pour dégager du temps à consacrer à des tâches qui sont plus importantes au niveau humain », ajoute Jeoffrey Vigneron. Pour la justice, le curseur est plus difficile à placer. Même si certains contentieux encombrent les juridictions, « il est important que tous les acteurs soient réunis dans un lieu unique en particulier en matière pénale et dans un certain nombre de dossiers à connotation humaine forte », ajoute Christiane Féral-Schuhl. Nous sommes différents en présentiel : ce qui se passe, se ressent, s’exprime dans une salle d’audience ne trouve pas son équivalent en virtuel.

Dans quel domaine du droit et de la justice la numérisation va-t-elle s’appliquer ?

Avec la crise sanitaire, il y a eu une accélération de l’usage d’outils numériques ou en tout cas une prise de conscience que celle-ci était devenue urgente. Au niveau de l’institution judiciaire, les magistrats ont dû s’adapter et adopter des nouveaux fonctionnements. Pour Myriam Quéméner, « pas mal d’étapes en amont du procès pourraient être numérisées dont la préparation des audiences ou l’écoute de certains experts à distance qui ne nuirait pas forcément au déroulement du procès. Les audiences virtuelles dans certains domaines permettraient un gain de temps et donc d’apporter une plus-value dans d’autres contentieux où souvent nous n’avons pas assez de temps. Il y a urgence à digitaliser ne serait-ce que pour les justiciables. ». Il y a des matières comme l’injonction de payer par exemple qui pourraient être totalement dématérialisée, comme c’est le cas dans certains pays. « Mais je crains que cette approche verticale (le tout virtuel dans certains domaines) fasse perdre l’accès au juge. », s’inquiète Christiane Féral-Schuhl.

« Il faut garder l’accès aux magistrats mais dans certains contentieux les délais sont tellement longs, que cet accès est déjà limité », explique Jacques Lévy Véhel. Pour y remédier, certaines procédures pourraient être simplifiées et d’autres être davantage digitalisées. C’est le cas notamment de la gestion du processus judiciaire ou « case management », c’est-à-dire la saisine, le suivi des écritures...

« La digitalisation impacte tous les métiers du droit mais différemment et elle ne touche pas non plus à toutes les facettes de ces métiers, ajoute Fabrizio Papa Techera. Concernant les domaines du droit, il faut distinguer, ceux aux enjeux mineurs, ceux dans lesquels il y a beaucoup de données à traiter et ensuite dans chaque domaine, distinguer les séquences, y compris en matière pénale. Le curseur doit se mettre au niveau des matières mais aussi de ces séquences. »

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Quand cette évolution va-t-elle se produire ?

« Aucune certitude sur cette question. Les choses évoluent mais il est difficile de savoir quand cet usage va devenir massif », répond Jacques Lévy Véhel. Pour Christiane Féral-Schuhl « il existe plusieurs niveaux de pression : la pression des clients, celle de la concurrence, celle issue la jurisprudence avec l’engagement possible de la responsabilité d’un cabinet d’avocats qui n’aurait pas fait la recherche de jurisprudence nécessaire dans un dossier par exemple et enfin la pression des jeunes générations. C’est pourquoi la formation aux outils, à cette agilité doit se faire le plus tôt possible, c’est ce qui permettra un passage unifié de la profession au numérique. Ma seule inquiétude est de voir se déployer la perte de l’esprit critique et de créativité ».

La révolution numérique est en marche. « Il faut même accélérer le pas. Tout ce qui peut être automatisé doit l’être car les jeunes veulent concentrer leur temps sur ce pour quoi ils ont fait des études, ajoute Denis Musson. Et puis il y a aussi la pression des clients dans les entreprises. Notre système judiciaire pour rester attractif pour des investissements étrangers, attirer les contentieux doit être au niveau de ces grands voisins et ce d’autant plus que la numérisation est aussi un moyen de préserver un accès à la justice. »

Comment faire pour éviter et diminuer les biais algorithmiques ?

Quand on parle d’outils numériques, avant même de parler de leur utilisation, le sujet des biais algorithmiques est souvent évoqué. Tout en prenant l’exemple de DataJust, Christiane Féral-Schuhl indique que « plusieurs questions sont à anticiper : quelles données sont collectées et qui codent pour prendre en compte les biais ? Car il faut en tenir compte et pour cela systématiser les regards croisés et appliquer les principes du legal design ou ethic design qui ont vocation à imposer quelques règles pour le déploiement de l’intelligence artificielle en particulier dans le domaine de la justice ».

Pour Jacques Lévy Véhel, il est essentiel d’avoir un esprit critique et de garder en tête que par nature, tout modèle est faux. « Il est difficile de détecter les biais dans un outil statistique comme DataJust parce qu’il ne s’agit pas d’intelligence artificielle à proprement parler. Quand on crée un modèle mathématique, la machine est capable d'exposer son raisonnement : il est alors aisé de détecter les biais et de les limiter. Pour cela, le travail du juriste est essentiel. Doté d’un esprit critique, il va être en mesure de mettre en cause l’algorithme ». En conséquence, une collaboration étroite et permanente entre mathématiciens et professionnels du droit est indispensable pour garantir la fiabilité d’une solution d’intelligence artificielle.

Cette plénière riche a aussi été l’occasion d’aborder la question de la fracture numérique, de la formation des professionnels du droit… Elle fera l’objet d’un numéro spécial de la revue Dalloz IP/IT.

Case Law Analytics est heureuse d’avoir contribué aux débats de cette journée en co-organisant cette plénière qui a mis en évidence l’intérêt pour les avocats d’utiliser la jurimétrie dans leur pratique.

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