FAITS

Deux sociétés, l’une de droit français et l’autre de droit marocain ont conclu en Avril et Juillet 2009 « un contrat d’exploitation commune » ayant pour objet de confier à l’une la livraison et le transport des envois internationaux pour une durée minimale d’un an le contrat prévoyant un préavis de 45 jours.

Différentes restructurations se produisent et au final la société FEDEX rachète les titres de l’une des sociétés, celle qui devait transporter les colis et marchandises.

La société FEDEX effectue un audit et à sa suite lance un appel d’offre pour sélectionner son partenaire sur le marché marocain.

La société signataire du contrat initial n’est pas choisie et le contrat est résolu au terme d’un courrier qui faisait courir le délai de préavis de 45 jours.

La société conteste cette résiliation la considérant comme abusive et estime que les relations existaient entre les deux sociétés depuis 18 ans.

Estimant avoir été victime d’un appel d’offre fictif la société assigne la société à l’initiative de la rupture pour une somme se 7 776 000 €.

Le tribunal de commerce de Lyon condamne la société à l’initiative de la rupture à la somme de 2 098 000 € et un appel est interjeté par la société condamnée.

Plusieurs questions étaient dans le débat :

- La durée de la relation

- Le préjudice qui découle d’une rupture brutale

- Quelques autres questions sur les pièces versées aux débats ainsi que sur des actes de concurrence déloyale.

Simuler les indemnités possibles

POSITION DE LA COUR D’APPEL

Sur la durée de la relation

« Il est constant que la société TNT Express International, aux droits de laquelle vient la société TNT, a conclu en 2009 avec la société MATIM un « contrat d'exploitation commune » ayant pour objet de confier à la société MATIM la livraison et le transport des envois express internationaux, et ce à compter du 1er juin 2009.

Pour justifier de relations commerciales établies dès 2002, la société MATIM et M. V. produisent notamment :

- Un historique sur la société TNT émanant de son propre site internet, dont il ressort que celui-ci mentionne la création de la société « TNT Express Maroc » ayant comme PDG M. Pascal V. mais fait aussi sa promotion en 2003 (« TNT Express Maroc étoffe sa gamme »), en 2006 (« TNT Express Maroc lance l'Economy Express »), en 2008 (« TNT Express Maroc agrandit son réseau d'agences' »).

-Un courrier en date du 21 décembre 2001, émanant du Directeur Général de TNT FAA adressé à Monsieur Pascal V., « MAIL & TRANSPORT INTERNATIONAL MAROC », au terme duquel il indique que la société MATIM « représentera TNT Express International au Maroc la livraison et la collecte des documents et colis express ».

-Une attestation de M. Jean-Paul S., ancien Directeur Général de TNT Express France entre 2004 à 2007, qui indique que « l'activité était déjà conséquente, ayant commencé en septembre 2002 pour la partie import (distribution au Maroc du fret international) et en janvier 2003 pour la partie export (remise par MATIM au réseau TNT du fret développé par MATIM au Maroc pour distribution à l'international) ».

A cet égard, la cour constate que cette dernière attestation, dont il n'y a pas lieu de mettre en doute l'objectivité, tant les faits relatés ne portent pas d'appréciation subjective, corrobore le courrier précédent du 21 décembre 2001, ainsi que le propre site internet de la société TNT, pour justifier d'une relation commerciale établie entre les parties dès l'année 2002 de sorte que la durée de la relation commerciale, dont il n'est pas contesté qu'elle s'est achevée en mars 2018 est établie entre 2002 et 2018, soit 16 ans.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la durée du préavis sera fixée à 12 mois de sorte que le préavis n'ayant été que de 5 mois, la brutalité de la rupture des relations commerciales est caractérisée.

Sur le préjudice lié à la rupture brutale

« En l'état de ces différents éléments, et faute de pouvoir disposer de données comptables précises sur les coûts variables, la cour évalue ce taux de marge pour les besoins de la cause à 65 % soit pour un chiffre d'affaires moyen de 2 782 817 euros, une marge annuelle sur coûts variables de 1 808 831 euros.

En conséquence, la moyenne mensuelle de la marge sur coûts variables ' entendue comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée, déduction faite des charges qui n'ont pas été supportées par elle du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture - sur les 4 années précédant la rupture est de 150 359 euros.

Ainsi, multipliée par le nombre de mois de préavis dont aurait dû bénéficier la victime de la rupture, soit 12, moins les 5 mois effectivement effectués, le préjudice est évalué à la somme de 1052 513 euros, auquel la société TNT sera condamnée au paiement, le surplus des demandes étant rejeté

Découvrir Case Law Analytics

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Beaucoup de choses très intéressantes dans cette décision de la cour d’appel de Paris.

Sur la relation

La cour va rechercher la durée effective de la relation entre les 9 années invoquées par le défendeur et les 16 années invoquées par le demandeur.

Elle le fait en s’attachant à trois éléments fort instructifs quant à la preuve des faits : elle prend en compte des éléments historiques du propre site de la société défenderesse faisant référence à des évènements datant de 2003, à un courrier du propre directeur général de la société ayant été rachetée et qui faisait référence à ces mêmes évènements, et enfin à une attestation de ce même directeur général confirmant le début de la relation en 2003.

La cour conclut donc à une relation de près de 18 années n’ayant que peu de rapport avec les 9 années prétendus par le défendeur.

Sur la brutalité de la rupture

La cour nous gratifie d’une analyse assez novatrice qui consiste à juger comme elle le fait que :

« … 1-Dès lors la notification par la société TNT à la société MATIM de son recours à un appel d'offres pour choisir son prestataire manifestait son intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles dans les conditions antérieures … »

Ainsi donc le simple recours à la procédure d’appel d’offres manifeste l’intention de ne pas poursuivre les relations contractuelles antérieures…. » dont acte. Il va falloir en tenir compte désormais.

Sur le préjudice

Sachant l’importance de la durée de la relation la cour n’avait plus qu’à « dérouler » sa motivation sur le préjudice ce qu’elle fait en prenant bien soin de nous donner le fondement du délai de préavis :

« Ainsi, le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause… »

Tout y est.

Au final la cour condamne la société ayant été à l’initiative de la rupture à la somme de 1 052 513 au titre de son préjudice pour la rupture brutale des relations commerciales établies.

Les enseignements de cet arrêt sont importants : beaucoup de chose se joue sur les preuves et comme souvent sur les preuves versées aux débats par la partie adverse.

Attention au recours à la procédure d’appel d’offres : elle peut être analysée comme une rupture de la relation antérieure.

12 mois de préavis pour 18 années…nous sommes dans l’épure.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA Paris 6 juillet 2021 RG 19/14727 Portalis 35L7-V-B7D-CAMIO

Photo licence CC BY-SA 3.0

Découvrir Case Law Analytics