FAITS

Une société CFI (devenue Xefi Lyon) spécialisée en commerce de gros d’ordinateurs, d’équipements informatiques, de périphériques et de logiciels commercialise entre autres les produits de la société SONY Europe.

Les parties sont en relation d’affaires depuis 2001 par différents contrats en général d’un an en 2006, 2007, 2008, 2010, 2011, 2012 et 2013.

La société SONY a mis fin à son partenariat en accordant un préavis de 4 mois. La société CFI assigne la société SONY devant le tribunal de commerce de Lyon en rupture brutale de relations commerciales établies et en responsabilité délictuelle. Par jugement en date du 20 Février 2017 les juges de première instance accordent un préavis de 13 mois correspondant à la somme de 220 000 € ainsi que 200 000 € à titre indemnitaire.

La motivation des premiers juges prend en compte essentiellement la durée de la relation ( 13 ans) ainsi que le coût de l’investissement pour les dommages - intérêts. Sur appel de la société SONY la cour d’appel de Paris pôle 5 chambre 11 en date du 21 Février 2020 infirme le jugement, accorde 4 mois de préavis correspondant au préavis accordé et en ce qui concerne les dommages intérêts estime que le chiffre d’affaire existant entre les deux sociétés (0,46 %) ne justifie d’aucun préjudice.

Cet arrêt est soumis à la censure de la cour régulatrice.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

Sur la brutalité de la rupture.

« Compte tenu du faible chiffre d'affaires réalisé par la société CFI avec la société Sony, représentant 0,46% de son activité au moment de l'envoi de ce préavis et de l'absence de dépendance économique de l'intimée, le préavis de quatre mois et demi est suffisant pour lui permettre de trouver d'autres débouchés, ce quand bien même la société CFI était distributeur de produits Sony dans des espaces de vente "Carré Vaio" aménagés dans deux boutiques situées à [Localité 5].

La rupture brutale des relations commerciales établies n'est donc pas caractérisée, le jugement entrepris étant infirmé.

Il convient, en conséquence, de débouter l'intimée de l'ensemble de ses chefs de demandes.»

Sur le chiffre d’affaire.

« L'ampleur de la relation commerciale doit être analysée en référence au flux d'affaires entre les parties et déterminée en fonction de la part que représente le chiffre d'affaires réalisé entre elles sur la part du chiffre d'affaires total de l'intimée.

Le chiffre d'affaires au titre des ventes de matériel Sony et de prestations afférentes à du matériel Sony, réalisé par la société CFI auprès de sa clientèle et qui concerne exclusivement ses relations commerciales avec celle-ci, n'a pas à être pris en compte pour déterminer l'ampleur de la relation commerciale établie nouée entre les parties.

La seule circonstance que les contrats conclus entre les sociétés CFI et Sony tendent au développement des ventes de produits Sony et Vaio ne justifie pas que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination de l'importance de la relation commerciale nouée entre les parties excède les flux financiers entre celles-ci.

Il importe peu, à ce titre, que les accords cadre de prestations de services ou accords de prestations de services conclus entre les parties portent sur le développement des ventes de produits Sony et que la rémunération de la société CFI en sa qualité de revendeur soit fonction dudit développement, les échanges de flux financiers entre les parties au titre de ces contrats se limitant aux seules rémunérations de la société CFI, et le chiffre d'affaires de celle-ci au titre de la vente de produits Sony concernant exclusivement ses relations commerciales avec les grossistes.

Au vu des attestations de l'expert-comptable de la société CFI, conformément aux allégations de l'appelante et à défaut de tout élément contraire produit par l'intimée, seules les "ristournes et aides marketing accordées" par la société Sony correspondent au chiffre d'affaires réalisé par l'intimée avec l'appelante. Ces ristournes et aides s'élèvent en 2012 à la somme de 43.369 euros HT représentant 0,46 % du chiffre d'affaires total de la société CFI, de 9.262.904 euros HT, et en 2013 à la somme de 37.972 euros HT représentant 0,42% du chiffre d'affaires total de la société CFI, de 9.014.843 euros HT. Sur la situation de dépendance économique.

« L'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise. L'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque de l'entreprise, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires de l'entreprise cliente, mais également de l'impossibilité pour cette dernière d'obtenir d'autres partenaires des conditions équivalentes.

La situation de dépendance économique s'analyse au regard de la relation commerciale prise en son ensemble, et non pas en fonction d'une partie de l'activité de la partie qui l'invoque.

L'intimée est donc mal fondée à faire valoir une situation de dépendance économique pour sa seule activité de vente d'ordinateurs PC portables au sein de ses magasins avec espaces de vente dédiés à la marque, à l'exclusion du surplus de son activité, notamment de réparation et de maintenance d'ordinateurs mais également de l'activité de vente déployée dans ses boutiques ne contenant pas de carré Vaio.

La faible importance du chiffre d'affaires réalisé par la société CFI auprès de l'appelante, au regard de son chiffre d'affaires total, exclut sa situation de dépendance économique envers cette dernière.

En outre, si les contrats susvisés entre les parties revêtent un caractère intuitu personae, aucun d'entre eux ne contient de clause d'exclusivité.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Tout est dit dans cet arrêt pourtant de rejet.

La cour de cassation nous gratifie de plusieurs définitions qui sont autant de chemins qu’elle nous invite à emprunter.

Sur la dépendance économique elle la définit comme l’impossibilité pour une entreprise de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles nouées avec l’autre entreprise.

Pour la détermination du chiffre d’affaire elle nous demande de ne prendre en compte que la part dudit chiffre réalisé entre les sociétés entre elles par rapport au chiffre d’affaires total. Sur la brutalité elle nous dit implicitement que le pourcentage du chiffre d’affaires réalisé entre les parties est une aide précieuse pour juger de la brutalité même si la démarche peut paraître surprenante même si elle prend acte du délai contractuel de 4 mois accordé.

Tous ces éléments sont pris en compte dans la modélisation mise au point par Case Law Analytics du contentieux de l’article L 442-6 1 5°.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 26 janvier 2022, pourvoi n°20-16243.