FAITS

Ils sont juridiquement originaux. Un achat par carte bancaire sur un site. Un litige sur la prestation. Saisie sur le compte bancaire des époux initiée par la banque au titre du débit en compte consécutif au paiement par carte bancaire.

Les parties se retrouvent devant le JEX et les titulaires de la carte invoquent une fraude pour dire que la banque devait les rembourser du montant débité.

Le JEX du tribunal judiciaire de Senlis les déboute de leur demande de mainlevée de la saisie et ils interjettent appel au motif que la créance de la banque n’est pas fondée en son principe et que mainlevée doit en être donnée et que la banque doit en outre être condamnée à des dommages et intérêts à concurrence de la somme de 10 000 €.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« En l'espèce, il ressort des éléments de la cause :

-que les époux B. L. ne se plaignent pas d'une fraude résultant du vol, du piratage de leur carte bancaire ou de l'usurpation de leurs cartes bancaires ;

-qu'ils font état d'un litige avec le site de vente en ligne Showroomprive.com qui aurait sans explication annulé ou rejeté leurs très nombreuses commandes, supprimé leur accès au site et frauduleusement débité de leurs comptes bancaires le montant de commandes qui n'ont jamais été expédiées ;

-que ce litige qui porte sur une somme que les époux B. L. ne chiffrent pas n'est manifestement pas une fraude résultant du vol ou du piratage de cartes bancaires mais un litige entre le titulaire de la carte bancaire et son fournisseur qui ne peut donner lieu à rétro facturation que si une convention prévoyant cette garantie a été signée entre les époux B. L. et le CREDIT AGRICOLE ;

-que les époux B. L. ne justifient pas de l'existence d'une telle convention ;

-que les comptes ouverts par les époux B. L. auprès du CREDIT AGRICOLE présentent des soldes débiteurs ;

-que le CREDIT AGRICOLE justifie donc d'une créance fondée en son principe ;

-que par ailleurs, il est constant que suite au différend qui les a opposés à Showroomprive.com et au refus du CREDIT AGRICOLE d'appliquer une garantie de retro facturation, les époux B. L. ont décidé de quitter le CREDIT AGRICOLE ;

-que pour autant, ils n'ont pas apuré le montant de leurs découverts auprès du CREDIT AGRICOLE ;

-qu'au contraire, ils se sont empressés de virer les remboursements qu'ils ont pu obtenir de Showroomprive.com et leurs autres avoirs sur un compte CREDIT DU NORD ;

-que ce faisant, les époux B. L. ont manifesté leur volonté de ne pas régler leur créance auprès du CREDIT AGRICOLE ;

-qu'en outre, la saisie conservatoire pratiquée auprès du CREDIT DU NORD n'a été que partiellement fructueuse ;

-qu'il est donc justifié que le recouvrement de la créance était menacé »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Cette décision nous change des classiques oppositions ou du concept de négligence grave de la part du titulaire de la carte bancaire.

Les directives européennes 1 - 2007/64/CE et 2 2015/2366/ UE préconisent une rétro-facturation lorsque le titulaire de la carte entend revenir sur son ordre dans les cas de vol, piratage de ladite carte, de « faillite » du bénéficiaire de l’ordre de paiement ou lorsque le professionnel bénéficiaire de l’ordre de paiement n’a pas respecté les droits du consommateur.

La France n’a transposé ces deux directives que dans leurs dispositions sur le vol, le piratage et la faillite mais pas dans le cas de non respect par le bénéficiaire de droits du consommateur. Il est vrai que c’était mettre le doigt dans un engrenage infernal qui aurait grandement fragilisé ce moyen de paiement.

C’est ce que relève, à juste titre, la cour d’appel d’Amiens pour débouter les titulaires et confirmer le jugement du JEX de Senlis.

L’article L. 133-18 invoqué par les plaideurs ne pouvait les sauver puisqu’ils avaient donné leur accord à l’opération.

La cour note que la banque aurait pu convenir avec son client d’un remboursement – d’une rétro-facturation – dans l’hypothèse prévue par les directives européennes mais ce n’était pas le cas.

Rappelons que l’ordre de paiement donné par carte bancaire est en principe irrévocable – L. 132-2 du code monétaire et financier. Sa sécurité est à ce prix et les cas d’opposition sont, comme pour le chèque, limitativement prévus par le législateur au même article.

Les clients ayant par ailleurs changé de banque sans rembourser le montant de leur découvert toutes les conditions d’urgence et de péril de la créance étaient réunies.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA Amiens 16 septembre 2021, RG 20/05282, L’essentiel du droit bancaire n°10 novembre 2021 page 2.