FAITS

Le 1er Avril 2005 une société de crédit conclut avec une société un contrat de crédit bail portant sur divers matériels. Impayés, échéanciers divers contractualisés par avenant en date du 5 novembre 2010 et à l’occasion duquel le dirigeant se porte caution solidaire du paiement des sommes dues au titre du contrat de crédit-bail.

Nouveaux impayés, nouvel accord de règlement, nouveaux impayés et assignation de la société débitrice et de la caution par la société de crédit.

Le 29 Mai 2019 la cour d’appel de Nancy les condamne au paiement et ils se pourvoient en cassation au motif notamment de la nullité de l’engagement de caution qui ne comporte pas la mention manuscrite prévue par les textes.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions.
5. Ayant constaté, par motifs adoptés, que les signatures de M. [L] figurant sur l'acte de cautionnement et sur la fiche de renseignements étaient strictement identiques et que M. [L] ne pouvait donc alléguer n'avoir pas signé l'acte de cautionnement, puis relevé, par motifs propres, s'agissant des mentions manuscrites, qu'en dépit des précisions données dans l'acte, lequel comporte trois pages, toutes paraphées par le souscripteur, dont la dernière précise de manière très apparente et en caractères gras, que la signature de la caution doit être précédée de la mention manuscrite prévue par la loi, M. [L] a néanmoins « cru devoir faire » rédiger ladite mention par sa secrétaire, au lieu d'y procéder lui- même, détournant ainsi sciemment le formalisme de protection dont il se prévaut désormais pour tenter de faire échec à la demande en paiement, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, a exactement déduit de la faute intentionnelle dont elle a ainsi retenu l'existence dans l'exercice de son pouvoir souverain, que la caution ne pouvait invoquer la nullité de son engagement. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Fraus omia corrumpit retrouve le droit du cautionnement…enfin.

Il est rare que ce principe fraus omnia corrumpit soit retenu par la Cour régulatrice notamment dans les rapports créancier – Caution.

Elle l’applique parfois dans le rapport créancier-débiteur principal : Cassation civile 1. 14 février 1990 – 88-17815 ; 3 avril 2002 – 98-22813 – et 22 janvier 2002 – 98-10014.

Dans notre affaire la mention manuscrite avait été apposée par la secrétaire du dirigeant, à sa demande. La cour d’appel y a vu une faute intentionnelle et la cour régulatrice une fraude.

Rien de choquant compte tenu du contexte factuel. Par contre la question que l’on peut se poser est de savoir comment les créanciers – essentiellement les banques – vont pouvoir utiliser cette jurisprudence.

Autrement dit quelle est la définition de la fraude ? Nous savons que ce n’est pas une simple mauvaise foi, ni un dol. Il faut l’intention de nuire. En l’espèce l’intention d’empêcher le créancier de mettre en jeu l’acte querellé. Les preuves ne seront pas faciles à rapporter tant les cautions auront beau jeu d’arguer de maladresses, d’incompréhension ou d’erreurs.

Sur le deuxième moyen qui invoquait la disproportion la haute cour juge que les fiches de paie qui se rapportent à des salaires « postérieurs à la date du cautionnement de trois mois seulement » entérinant ainsi ce court décalage et que par ailleurs les preuves versées aux débats par la caution sont insuffisantes à faire preuve de la disproportion.

Sur le troisième moyen qui tenait à l’absence de mise en garde la cour de cassation juge d’une part que « le crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie » ce qui a déjà été jugé vis à vis du crédit preneur : Cassation commerciale 11 Avril 2012 – 11-15429 – Sur la qualité d’avertie ou pas de la caution dirigeante voir Cassation commerciale 22 Mars 2016 – 14-20216.

Notons au passage que le devoir de mise en garde existe vis à vis de l’engagement de caution  ce qui est classique – mais aussi vis à vis du risque d’endettement à l’égard de l’emprunteur ce qui est plus original s’agissant d’une exception que l’on pourrait considérer comme personnelle au débiteur.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique chez Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 5 mai 2021, pourvoi n°19-21468, publié au bulletin