FAITS

Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 octobre 2020) et les productions, par un acte du 26 mars 2008, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société Du Levant un prêt in fine d'un montant de 10 500 000 euros, outre intérêts, remboursable le 26 mars 2013. Ce prêt, destiné à financer partiellement l'acquisition de 360 000 actions de la société Sea Tankers, était garanti par le nantissement des titres, objet du prêt, et par la cession de toutes
les créances nées ou à naître au titre d'une promesse d'achat consentie par des sociétés tierces, débitrices cédées, dans le cadre d'un pacte d'actionnaires du 14 décembre 2007, portant sur les actions de la société Sea Tankers que la société Du Levant détiendrait. Par un acte du 7 septembre 2011, M. [J] s'est rendu caution envers la banque du remboursement de ce prêt dans la limite de 10 500 000 euros.
La société Du Levant ayant été condamnée à payer à la banque une somme de 9 822 280,85 euros, outre intérêts, la banque a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du code civil, en soutenant que la banque avait laissé perdre ses autres garanties, dont elle aurait pu bénéficier par subrogation.»
Les arguments de la caution tiennent d’une part au fait que le bordereau de cession de créance qui ne comprend pas les mentions exigées par la loi rend la cession inopposable aux débiteurs cédés et que l’article 2314 du code civil sanctionne la perte d’un droit préférentiel et ensuite que ce même article fait obligation au créancier de mettre en action son droit afin de préserver ceux de la caution.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION


« Après avoir énoncé que l'article 2314 du code civil n'est applicable qu'en présence de droits qui comportent un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance et qu'est ainsi qualifié tout droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la perception de sa créance ou une véritable position privilégiée, l'arrêt retient exactement que M. [J], qui invoque la perte du bénéfice de la subrogation dans les droits du cessionnaire, ne justifie pas de la perte d'un tel droit préférentiel, puisque la banque ne dispose pas d'un droit qui lui permette d'éviter le concours avec les autres créanciers chirographaires.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Vu l'article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :
Aux termes de ce texte, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
Pour condamner M. [J], en qualité de caution, à payer à la banque diverses sommes, l'arrêt retient que celui-ci a eu nécessairement connaissance des conditions stipulées dans l'acte de prêt, et notamment de l'obligation de maintien de la valeur des actions nanties, laquelle n'a pas été respectée eu égard à la procédure de liquidation judiciaire dont a fait l'objet la société Sea Tankers. Il retient encore que l'engagement de préservation de la valeur des
actions à la hauteur du prêt souscrit incombe à l'emprunteur, titulaire de ces actions, qui les offre en garantie du prêt souscrit, et non à la banque, et qu'il appartenait donc à la société Du Levant, titulaire des actions nanties, de veiller à la préservation de leur valeur et de surveiller toutes modifications éventuelles. L'arrêt ajoute que, de surcroît, il n'est nullement établi que la banque a eu connaissance des difficultés économiques de la société Sea
Tankers et de la perte de valeur des actions, dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle était la banque teneuse des comptes de cette société. Il en déduit que M. [J] ne peut se prévaloir du non-respect par la banque d'un éventuel devoir de vigilance de nature à justifier l'application de l'article 2314 du code civil.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte-titres à la date de la défaillance de la société Du Levant, débitrice principale, alors que la caution prétendait qu'à cette date, la valeur des actions nanties était très supérieure au montant du capital fixé dans l'acte de prêt, le créancier n'avait pas fait perdre à la caution un droit dont elle aurait pu bénéficier par subrogation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION


Toute la question est celle de la définition du droit préférentiel.
Nous pensions qu’il s’agissait d’un droit qui conférait en lui-même une cause de préférence. La renonciation a un droit est une perte dudit droit préférentiel Cassation chambre mixte 10 juin 2005 – 02-21296 – il appartient à la caution de faire cette preuve: Cassation commerciale 8 avril 2015 – 13-22969 –En ce sens l’absence de notification d’une cession Dailly n’est pas une perte d’un droit préférentiel: Cassation commerciale 2 novembre 2016 – 15-12491 – Mais qu’en est-il de la diminution de valeur d’une garantie? La Cour de cassation a déjà jugé qu’elle pouvait être considérée comme la perte d’un droit préférentiel Cassation commerciale 11 février 2014 – 12-29670 pour une valeur de fonds de commerce.
Elle le fait dans cet arrêt de façon claire. Les actions ayant perdu de leur valeur la cour régulatrice définit ainsi la perte d’un droit préférentiel: «un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le couvrement de sa créance»
Cette définition est donc plus large que la seule perte d’une cause de préférence qui limite le périmètre à une seule acception juridique.
C’est incontestablement une évolution par rapport à la jurisprudence antérieure et la publication de la décision milite en ce sens. A suivre.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Chambre Commerciale, 30 novembre 2022. Pourvoi n°20-23554. Publié au bulletin. LEDB N° 1 JANVIER 2023 PAGE 4.