FAITS

Ils sont relativement classiques. Un agent commercial travaille avec son mandant depuis plusieurs années sans qu’aucun contrat ne vienne formaliser cette relation.
Les parties conviennent d’en écrire un auxquelles elles adhèrent.
Il prévoit, entre autres, une clause de non-concurrence dont la violation est invoquée par le mandant mais postérieurement à sa lettre de rupture fondée sur d’autres causes.
L’agent assigne le mandant en référé devant le Président du tribunal de commerce de Nanterre qui se déclare incompétent pour causes de contestations sérieuses.
Le tribunal statue au fond et condamne le mandant aux sommes de 70 583,90 € au titre de l’indemnité de rupture; 11 022,66 € au titre du prévis et 3196,71 au titre d’une facture impayée.
Celui-ci interjette appel et la cour réforme le jugement et déboute l’agent de ses demandes principales.
Il se pourvoit en cassation au motif essentiel que
« les dispositions de droit interne transposant une directive de l'Union européenne doivent être interprétées à la lumière de celle-ci, notamment lorsqu'elle a elle-même été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne ; que dans l'arrêt CJUE, arrêt du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany Gmbh, C-203/09, la Cour de justice a dit pour droit que "l'article
18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s'oppose à ce qu'un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l'existence d'un manquement de l'agent commercial, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l'échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause....»

POSITION DE LA COUR DE CASSATION


« Vu les articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du code de commerce, transposant les articles 17, § 3, et 18 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants :
Aux termes du premier de ces textes, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
Selon le second, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
La chambre commerciale, financière et économique juge régulièrement que les manquements graves commis par l'agent commercial pendant l'exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l'agent commercial de son droit à indemnité (Com., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-14.115 ; Com., 24 novembre 2015, pourvoi n° 14-17.747 ; Com.,19 juin 2019, pourvoi n° 18-11.727).
Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany GmbH, C-203/09, points 38, 42 et 43), a rappelé, que, « aux termes de l'article 18, sous a), de la directive, l'indemnité qui y est visée n'est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat » pour « un manquement imputable à l'agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai », que « en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition » et considéré que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive. Par conséquent,
l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat. »
La CJUE a aussi énoncé, dans un arrêt (CJUE, arrêt du 19 avril 2018, CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, C-645/16, § 35), que « toute interprétation de l'article 17 de cette directive qui pourrait s'avérer être au détriment de l'agent commercial était exclue. »
En considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.
Pour rejeter la demande d'indemnité de rupture formée par la société Acopal, l'arrêt retient qu'il importe peu que, découvert postérieurement à la rupture, un manquement à l'obligation de loyauté ne soit pas mentionné dans la lettre de résiliation si ce manquement, susceptible de constituer une faute grave, a été commis antérieurement à cette rupture.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.... »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION


C’est donc à un revirement que nous invite la cour régulatrice.
Les faits de nature à exonérer l’agent du bénéfice de son indemnité de rupture doivent être mentionnés dans la lettre de rupture.
A défaut ils ne peuvent priver l’agent de son indemnité.
La chambre commerciale avait établi une jurisprudence contraire aux termes de ses arrêts des 24/11/2015. 14-17747 et 19/06/2019.  18-11727.
La directive applicable en l’espèce soit celle du conseil en date du 18/12/1986 (DUE 86/653/CEE ) interprétée par l’arrêt VOLVO en date du 28/10/2015 invite à une interprétation stricte des cas dans lesquels l’agent est privé d’indemnité et ce par application de l’article L 134-13 du code de commerce.
La cour régulatrice en fait une application dans cette affaire dans laquelle la lettre de rupture ne faisait pas mention de cette faute de non-respect de la clause de non-concurrence pourtant grave.
La modélisation que la société CASE LAW ANALYTICS propose de ce contentieux ne prend pas en compte la date de ladite faute grave de sorte que cette nouvelle jurisprudence sera, selon toute vraisemblance soluble, dans l’ancienne.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Première Chambre Commerciale, 16 novembre 2022. Pourvoi n° 21-17423. Publié au bulletin.