FAITS

Une banque consent un crédit immobilier à un couple pour un montant de 589 000 francs suisse capé d’un point à la hausse mais pas à la baisse sur le LIBOR trois mois.

Contestant le taux appliqué les emprunteurs ont assigné la banque aux fins de voir appliqué au prêt le taux d’intérêt indexé au taux LIBOR trois mois y compris en cas d’index négatif.

La cour d’appel de Chambéry fait droit à la demande des parties et ce même à la baisse et en remboursant aux emprunteurs l’éventuel trop perçu.

C’est sur ce point que la banque se pourvoit en cassation aux motifs que le contrat de prêt est un contrat à titre onéreux de sorte que le taux d’intérêt ne peut devenir négatif et obliger le prêteur à rémunérer l’emprunteur et que par ailleurs la cour d’appel ne pouvait juger que le caractère onéreux du prêt ne pouvait se juger sur la totalité du contrat dans la mesure ou les conditions générales du prêt prévoyaient que les variations du LIBOR devaient se répercuter sur le montant des échéances et non sur la durée du prêt.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu les articles 1902, 1905 et 1907 du code civil, et L. 313-1 du code monétaire et financier :
Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne. Dans un contrat de prêt immobilier, l'emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n'ont pas entendu déroger aux règles du code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d'une quelconque rémunération à l'emprunteur.
Pour dire que la banque devra appliquer au prêt litigieux un taux d'intérêt indexé au taux Libor trois mois au jour le jour à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs, l'arrêt retient, d'une part, que la disparition du caractère onéreux du prêt est fondée sur des dispositions du code civil supplétives de l'autonomie de la volonté qui préside à la conclusion des contrats, d'autre part, que les conditions particulières du prêt, qui sont claires et précises, stipulent expressément un plafond à la variation du taux d'intérêt, mais pas de plancher.
En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a admis l'éventualité d'intérêts mensuellement négatifs, alors qu'il résultait de ses constatations que les parties n'avaient pas entendu expressément déroger aux règles du code civil, a violé les textes susvisés.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La messe est dite.

Encore une fois ce sont les règles du code civil qui viennent nous dire le droit. Les cours d’appel avaient statué dans des sens différents CA COLMAR 8 mars 2017 RG 16/00310 ; CA de BESANCON 10 Juillet 2018 RG 17/01227 et CA CHAMBERY 20 septembre 2018 RG 16/02665.

La même première chambre civile avait jugé le 25 mars 2020 – 18-23803 – que si les parties n’avaient pas convenu de déroger aux règles du code civil alors point de taux négatif à la charge des banques.

Elle confirme sa position dans cette décision qui présente toutefois une particularité non négligeable dans la mesure ou le taux n’était capé qu’à la hausse et pas à la baisse, ce sur quoi s’appuyait la cour d’appel de Chambéry pour en déduire une pseudo volonté divinatoire des parties pour réserver un éventuel taux négatif et sa rémunération qui va de pair à la charge de la banque.

La Cour régulatrice ne l’entend pas ainsi et nous rappelle la règle selon laquelle, sauf dérogation explicite aux règles du code civil qui sont toutes visées, le taux ne peut devenir négatif et engendrer une quelconque obligation de remboursement à la charge des banques.

Les cours d’appel ont d’ores et déjà appliqué la jurisprudence de la première chambre civile en date du  25 mars 2020 précitée, même les cours qui auparavant avaient tenté de convaincre du contraire : CA COLMAR 18 janvier 2021 RG 19/05327 et 30 Avril 2021 RG 18/01427 et 18/01428 et 18/01446 et 18/01417 et enfin 18/01420.

Nous n’attendons plus que la position de la chambre commerciale dont il serait surprenant qu’elle soit différente.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique chez Case Law Analytics

Source : Cass. Civ. 1ère, 10 mars 2021, pourvoi n°18-24699, L’essentiel du droit bancaire n°5 mai 2021 p.3