FAITS


Ils sont classiques. Un couple qui emprunte pour l’acquisition d’une résidence principale. Impayés. Déchéance du terme. Assignation en paiement des époux qui soulèvent le manquement à son devoir de mise en garde.
La cour d’appel de Rennes reçoit la demande et condamne la banque au montant pour lequel elle assignait et ordonne la compensation.
La banque se pourvoit en cassation au motif que pour la détermination du caractère risqué du crédit la cour n’avait pas pris en compte le montant de l’apport ni la valeur du bien financé.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
Il résulte de ce texte que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus. Pour condamner la banque à payer des dommages-intérêts à l'emprunteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient que la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur et qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé était destiné à lui permettre d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation.
En statuant ainsi, sans prendre en compte la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé....»


MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION


Pour la cour d’appel de Rennes «la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur, et, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé par la banque était précisément destiné à permettre à l'emprunteur d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation".
Voilà une décision importante comme la publication au bulletin l’indique.
Pour les pays latins comme la France, le crédit se rembourse par les mensualités donc les capacités de remboursement des emprunteurs alors que nous savons que pour les pays anglo-saxons c’est aussi par la vente du bien que le crédit se rembourse.
La Cour de cassation débute sa motivation par l’affirmation suivante:
«Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
Il résulte de ce texte que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus....»
Dont acte.
Pour autant la question mérite débat. On rembourse par ses capacités financières d’abord et avant tout.
Que l’on ne prenne pas en compte l’apport nous semble excessif et la cour d’appel sur ce point se fait censurer.
Cependant prendre le bien financé nous semble anormal compte tenu de nos remarques sur les conditions de remboursement d’un crédit en France.
A cet égard la dichotomie proposée par la cour de Rennes nous semblait opportune entre l’acquisition d’un bien pour y vivre et l’acquisition destinée à une revente donc à un remboursement anticipé du prêt.
Que l’on prenne en compte les biens et revenus pour déterminer la proportionnalité d’un acte de caution nous semble opportun puisque la caution n’emprunte pas et n’a donc pas, naturellement, vocation à rembourser le crédit qu’elle cautionne.
Prendre en compte les biens pour juger de la capacité de remboursement d’un emprunteur nous semble excessif.
Le remboursement s’effectue par le salaire et éventuellement les revenus des biens mais pas par les biens eux-mêmes.
D’ailleurs la jurisprudence sur le prêt relais ne nous dit pas autre chose : Cassation chambre commerciale 15 novembre 2017 – 16-16424 – 28 mars 2018 – 16-25248 – et 1 juillet 2020 – 18- 19139 –
Quoiqu’il en soit cette décision, publiée, est une bonne nouvelle pour les banques.
L’un des visas est l’article 1147 ancienne version mais nous ne pensons pas que la nouvelle rédaction (1231-1) modifie l’approche. Nous pouvons donc considérer la décision comme pérenne.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Première Chambre Civile, 9 novembre 2022. Pourvoi n°21-16846. Publié au bulletin. LEDB N° 11 DECEMBRE 2022 PAGE 2