FAITS

L’Etat accorde des aides publiques à un groupe de sociétés exerçant dans le domaine du transport aérien et ce pour assurer la restructuration et la poursuite des activités reprises d’un autre groupe de sociétés œuvrant dans le même domaine d’activité.

Le directeur général de l’aviation civile retire la licence d’exploitation de transporteur aérien à une des sociétés du groupe et par jugement en date du 17 février 2003 le tribunal de commerce de Créteil ouvre une procédure de liquidation judiciaire à son égard.

Les mandataires liquidateurs de cette société agissant au nom et pour le compte des créanciers de la société ont réclamé à l’état l’indemnisation du préjudice subi du fait que les aides accordés auraient contribué à aggraver le passif alors que selon eux la situation était irrémédiablement compromise.

Le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande de même que la cour administrative d’appel de Paris par un arrêt en date du 9 novembre 2017 (n°14PA03744).

Un pourvoi vient choquer cette décision.

POSITION DU CONSEIL D’ETAT

« L'octroi d'une aide publique à une entreprise, alors même que sa situation était irrémédiablement compromise à la date à laquelle elle a été accordée, ne permet de caractériser l'existence d'une faute que si cette aide, qui n'est pas régie par les dispositions de l'article L 650-1 du code du commerce relative à la responsabilité des créanciers soumis aux règles commerciales, a été accordée en méconnaissance des textes applicables ou qu'il est manifeste, qu'à la date de son octroi, cette aide était insusceptible de permettre la réalisation d'un objectif d'intérêt général ou que son montant était sans rapport avec la poursuite de cet objectif. Saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement d'une aide illégale accordée à une entreprise, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice allégué par les requérants.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Cette décision est, à notre connaissance, une première. La question indirectement posée au Conseil d’Etat était de savoir si une aide de l’état (ou d’une autre collectivité) peut être soumise aux conditions de l‘article L 650-1 du code de commerce. La réponse négative est claire. La faute éventuelle n’est pas régie par les dispositions de cet article.

Nous savions que le fournisseur pouvait être assimilé à un dispensateur de crédit : Cassation commerciale 10 janvier 2018 - 16-10824 – qu’une garantie financière n’est pas un crédit : Cassation commerciale 24 Mai 2018 – 16-26387.

Nous savons désormais que l’Etat ou les collectivités locales ne peuvent être soumis à l’article L 650-1 du code de commerce.

En tout état de cause dans notre affaire si cet article avait trouvé à s’appliquer il aurait fallu démontrer que la société était en situation irrémédiablement compromise…bon courage…tant le concept est flou, indéfini et insaisissable.

Cette notion est de la compétence des juges du fond : Cassation commerciale 15 octobre 2013 – 12-19468. Le temps écoulé entre l’octroi du crédit et les impayés est souvent salvateur pour les banques : Cassation commerciale 11 Mai 2010 – 09-12906. La situation irrémédiablement compromise ne doit pas être confondue avec d’autres concepts tels que la fraude : Cassation commerciale 27 Mars 2012 – 11-13356 – Cassation commerciale 8 janvier 2020 – 18-21452.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique chez Case Law Analytics

Source : Conseil d’Etat, 9ème et 10ème chambre réunies du 27 novembre 2020 n°41765, L’essentiel du droit des entreprises en difficultés n°4, avril 2021, page 6.

Crédit photo : Seudo, CC BY-SA 3.0