FAITS

Une banque consent un prêt à une société pour lequel M et Mme G père et mère du gérant se sont portés cautions solidaires du remboursement dans la limite de 200 000 € pour un prêt de 295 000 €.

La société emprunteuse a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire 18 mois après l’octroi du prêt.

La banque assigne les cautions qui lui opposent la disproportion et le manquement au devoir de mise en garde.

La cour d’appel de Grenoble le 2 juillet 2019 reçoit les arguments des cautions et condamne la banque à leur payer la somme de 200 000 € à titre de dommages-intérêts.

La banque se pourvoit en cassation aux motifs d’une part que la caution n’était pas disproportionnée et que par voie de conséquence la banque n’était tenue à aucun devoir de mise en garde et qu’en toute hypothèse le montant de la condamnation ne pouvait correspondre au montant de la caution s’agissant d’une perte de chance.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

Sur le devoir de mise en garde

«L'obligation de mise en garde à laquelle une banque est tenue à l'égard d'une caution non avertie, à raison des capacités financières de cette dernière et du risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, n'est pas limitée au caractère manifestement disproportionné de son engagement au regard de ses biens et revenus. Le moyen, en sa première branche, procède donc d'un postulat erroné…»

Sur le montant de la condamnation

«Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Il résulte de ce texte que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Pour fixer le montant des dommages-intérêts dus en réparation du préjudice subi par M. et Mme [G] en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde, l'arrêt retient que ce préjudice est caractérisé, pour les cautions, par la perte de chance de ne pas s'engager et qu'il doit être réparé à hauteur de la somme de 200 000 euros.
En statuant ainsi, alors qu'en fixant le montant des dommages-intérêts dus par la banque à la même somme que celle au paiement de laquelle elle condamnait M. et Mme [G] en exécution de leur engagement, la cour d'appel, qui a alloué aux cautions l'intégralité de l'avantage qu'aurait procuré la chance de ne pas s'engager si elle s'était réalisée, a violé le texte susvisé.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Sur le devoir de mise en garde

L’argument soulevé par la banque n’avait aucune chance de prospérer tant la disproportion et le devoir de mise en garde ont des vies autonomes, ne sont aucunement liés comme le rappelle la cour régulatrice. « le postulat (est) erroné »

Cet argument avait déjà fait long feu : Cassation commerciale 22 Mars 2011 – 10-14472 -

A l’époque des faits la disproportion et le devoir de mise en garde ont des régimes différents et emportent des sanctions différentes même si depuis la réforme des suretés elles sont désormais plus proches.

Sur les faits la cause était également entendue ne serait ce qu’en raison du faible laps de temps écoulé entre la mise en place du prêt et les impayés (18 mois)

Nous savons que ce temps est analysé avec minutie par la jurisprudence tant il est révélateur du caractère risqué d’une opération.

Rappelons que le conjoint qui a donné son accord à l’acte n’est pas créancier d’un devoir de mise en garde à l’égard de la banque : Cassation commerciale 9 février 2016 – 14-20304 -

Avant l’article L 650-1 du code de commerce les banques se faisaient régulièrement condamner pour soutien ou maintien abusif de crédit eu égard notamment au délai entre l’octroi des crédits et la date de cessation des paiements ainsi que sur la nature de la procédure redressement ou liquidation judiciaire.

La réforme des suretés offre à la caution une créance de mise en garde autonome, indépendamment de sa qualité d’avertie ou pas.

Rappelons également que la caution dans cette réforme peut désormais opposer au créancier toutes les exceptions provenant du rapport personnel avec le débiteur principal.

Sur le montant de la condamnation

Le moyen fait mouche. La sanction est bien la perte de chance de ne pas contracter qui ne peut être égale à «l’intégralité de l’avantage qu’aurait procuré la chance de ne pas s’engager si elle était réalisée…»

Nous sommes surpris que la cour ait emprunté cette voie.

La jurisprudence en la matière est importante et constante : A titre d’exemple : Cassation commerciale 20 Octobre 2009 – 08-20274 – Cassation commerciale 8 septembre 2021 – 19-20490 -

La réforme des suretés modifie la sanction en pareil cas puisque désormais la caution pourra être réduite à concurrence de son préjudice.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : Cass. chambre commerciale, 24 novembre 2021, pourvoi n°19-25195, L'essentiel du droit bancaire n°1, janvier 2022, page 6.