FAITS

Une personne inscrite au fichier des incidents de crédits et de paiement a demandé à la banque de France de désigner un établissement bancaire afin qu’il puisse ouvrir un compte au titre du droit au compte.

La BRED est désignée et contestée par le demandeur. La banque de France refuse une nouvelle désignation et la BRED clôture le compte au motif d’un comportement gravement répréhensible.

L’intéressé demande une nouvelle fois à la banque de France la désignation d’un nouvel établissement bancaire et celle ci s’y refuse.

C’est ainsi que l’individu assigne ladite Banque de France après avoir tenté en vain une démarche amiable.

Par jugement en date du 3 mars 2020 le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande qui est de nouveau présentée devant la CAA.

POSITION DE LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

«Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 312-1 du code monétaire et financier que malgré les nombreuses demandes d'ouverture de comptes de dépôt effectuées par M. B... et les clôtures successives de ses comptes par les établissements bancaires désignés par la Banque de France entre 2014 et 2017, et alors même que certaines de ces clôtures sont motivées par " des incivilités " commises par l'intéressé envers le personnel d'un établissement bancaire, par son " comportement gravement répréhensible " ou encore par le " fonctionnement atypique du compte occasionnant une charge anormale de traitement pour le service ", la Banque de France ne pouvait légalement refuser, par une décision du 29 août 2017, de désigner un nouvel établissement bancaire après la clôture du compte de M. B... par la Bred le
30 juin 2017. Par suite, la Banque de France a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. ……. »

« Il résulte de l'instruction que, saisie de demandes d'ouverture de comptes de dépôt par M. B..., la Banque de France a désigné le 8 octobre 2014 la Banque Postale, puis le 15 juillet 2015 la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et Ile-de-France. Par un courrier du 7 mars 2016, le Crédit Agricole d'Ile-de-France a procédé à la clôture du compte de M. B... à la suite " des incivilités " commises envers le personnel de l'agence bancaire notamment le 3 mars 2016. La Banque de France a désigné le 13 avril 2016 Groupama, à nouveau le 20 mai 2016 la Banque Postale et le 31 mars 2017 le Crédit du Nord. Par un courrier du 9 mai 2017, le Crédit du Nord a décidé la clôture du compte que M. B... détenait dans cet établissement du fait " d'incivilités ". Par un courrier du même jour, le Crédit Agricole d'Ile-de-France a procédé à la clôture du compte de M. B... du fait " du fonctionnement atypique du compte occasionnant une charge anormale de traitement pour le service ". Il n'est pas contesté que la Banque Postale a également clôturé le compte de l'intéressé. A la suite de la nouvelle demande d'ouverture de compte de M. B... du 19 mai 2017, la Banque de France a désigné l'agence de la Bred Banque Populaire. Par un courrier en date du 30 juin 2017, la Bred, établissement bancaire désigné, a informé la Banque de France qu'elle clôturait le compte de M. B... au motif que celui-ci avait eu un " comportement gravement répréhensible ". Eu égard au nombre de demandes d'ouverture de comptes de dépôt par M. B... entre 2014 et 2017 et aux motifs de clôture de certains de ses comptes bancaires, ce dernier a contribué à la réalisation du préjudice moral qu'il invoque et, en tout état de cause, du préjudice financier allégué. Dans ces conditions, le comportement de M. B... est de nature à exonérer totalement la responsabilité de la Banque de France résultant de la faute mentionnée au point 3.
Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande…. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Voilà une décision bien équilibrée…

La faute est reconnue  mais le préjudice est à la  charge du requérant comme ayant concouru à sa réalisation.

Qu’on en juge : D’abord la banque postale dont on connaît l’inclinaison à traiter les situations délicates et qui jette l’éponge, puis la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris ile de France qui jette aussi l’éponge, puis Le Crédit Agricole d’ile de France qui procède à la clôture du compte, puis Groupama, puis à nouveau la banque postale, puis le crédit du Nord et enfin la Bred.

Tous ces établissements ont, sous la contrainte du droit au compte, ouvert le compte en question et l’ont clôturé par la suite pour « incivilité », « fonctionnement atypique » « comportement gravement répréhensible » concept vraisemblablement tiré de l’article L 313-12 du code monétaire et financier inapplicable en l’espèce.

Que pouvait faire la cour administrative de Paris et plus généralement que peut faire le droit face à une telle situation ?

En jugeant que la banque de France avait commis une faute mais que le demandeur avait concouru à la réalisation de son préjudice la CAA de Paris se livre à un exercice d’équilibriste. Le raisonnement est pourtant juridiquement orthodoxe et bien connu.

Nous nous permettons néanmoins un petit reproche à cette excellente décision : Qu’elle ne vise pas le IV de l’article L 312-1 du code monétaire et financier qui permet, dans certains cas, dont les incivilités répétées, à la banque contrainte d’ouvrir le compte de le clôturer.

Elle aurait donné une assise législative à sa décision.

Sur la QPC déposée par la BNPP sur la question du droit au compte des personnes morales voir CE 10 septembre 2014  N° 381183.

Sur la compétence du juge des référés voir CA Paris 30 Juin 2021 RG 20/18606.

Sur les caractéristiques de fonctionnement de ces comptes voir Cassation commerciale 30 juin 2021  - 19-14313 –

Sur les conditions de clôture de tels comptes voir CA Aix en Provence 10 Octobre 2019  RG 17/05230.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source : Cour Administrative d'Appel de Paris, 31 janvier 2022, n° pourvoi 20PA04233. L'essentiel du droit bancaire n°4, avril 2022, page 1.