FAITS

Une société émet un cheque de 2400 € à l’ordre d’une autre société qui est débité à son compte au profit d’une autre personne bénéficiaire qui a été substituée à la suite d’une falsification.

La société titulaire du compte assigne sa banque en responsabilité pour manquement à ses obligations de vigilance et le tribunal de commerce de Lyon condamne ladite banque qui se pourvoit en cassation compte tenu du montant du litige.

La banque reproche aux premiers juges d’être entrés en voie de condamnation sans que le chèque ait été versé aux débats semble t’il pour une raison tenant au secret professionnel.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et 1937 du même code :
4. Tenue de vérifier la régularité formelle du titre qui lui est présentée, engage sa responsabilité la banque tirée qui paye un chèque affecté d'une anomalie apparente.

Pour retenir un manquement de la banque à son obligation de vigilance et la condamner à payer le chèque litigieux, le jugement, après avoir constaté qu'il n'était pas contesté que le nom du bénéficiaire du chèque litigieux avait été falsifié, relève que la banque refuse d'en produire l'original ou une copie en couleur, empêchant les juges de vérifier s'il est affecté d'anomalies apparentes, et qu'elle doit en assumer les conséquences.

En se déterminant ainsi, sans avoir constaté l'existence d'une anomalie apparente et alors que le défaut de production spontanée par la banque tirée du chèque litigieux ne pouvait y suppléer, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 7 novembre 2018, entre les parties, par le tribunal de commerce de Lyon ; »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Nous parlons bien de chèque falsifié et non pas apocryphe (sur cette distinction voir Cassation commerciale 3 janvier 1978 -76-13436).

La question qui était posée à la Cour de cassation consistait à savoir si le tribunal de commerce de Lyon avait pu rendre sa décision sans constater l’anomalie et se convaincre de son caractère évident ou pas ce qui, nous le savons, conditionne l’entrée en voie de condamnation. Si la falsification est évidente pour une banque “normale” alors elle sera condamnée, si au contraire la falsification est indécelable alors elle ne le sera pas (Cassation commerciale 18 septembre 2012 – 11-21898). Il faut bien évidemment une causalité (Cassation commerciale 16 octobre 2021 – 11-18366). Mais les responsabilités peuvent être partagées (Cassation civile 1. 20 Mars 2013 – 12-12805) quand la faute du titulaire du compte est retenue elle doit être exclusive (Cassation commercial 22 mai 2013). Les mêmes règles s’appliquent en matière de chèques de voyage (CA Douai 23 Mars 2013  RG 12/05520). La pluralité de bénéficiaires n’est pas en elle même une anomalie (Cassation commerciale 22 Mars 2017 – 15-24129). Il faut en tout état de cause que les juges se soient convaincus de l’anomalie et aient pu l’évaluer (CA Douai 22 novembre 2018  RG 17/05261).

Dans notre espèce  c’est précisément ce que la cour reproche aux premiers juges de ne pas avoir fait.

En ce qui concerne le secret professionnel nous savons bien que désormais la jurisprudence arbitre ces intérêts antinomiques en règle générale au profit du droit à la preuve dès lors que la responsabilité de la banque est recherchée (Cassation commercial e4 juillet 2018 – 17-10158 et 15 Mai 2019 – 18-1049).

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique Chez Case Law Analytics

Source : CASSATION CHAMBRE COMMERCIALE, 6 JANVIER 2021, POURVOI N-19-10753, L'essentiel du droit bancaire N° 3 MARS 2021 PAGE 2

Crédit photo : Tiraden, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons