FAITS


Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er octobre 2020), par acte sous seing privé du 22 novembre 2007, la société Crédit immobilier de France Centre Ouest, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme [L] (les emprunteurs) un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société CNP caution (la caution). La banque a assigné les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt.

La cour d’appel a débouté la banque au motif de la prescription de l’obligation principale par acquisition de la prescription biennale.

Le pourvoi tend à faire juger que la prescription biennale, attachée à la qualité de consommateur, est une exception purement personnelle au débiteur qui ne peut être opposée par la caution.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION


« L'article L. 218-2 du code de la consommation dispose que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Selon l'article 2253 du code civil, les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce.

Il résulte de l'article 2313 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, mais ne peut lui opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.

Il a été jugé qu'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue par l'article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution (1re Civ. 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-16.147, publié).

Une telle solution exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur contractant avec un professionnel fournisseur de biens ou de services, outre qu'elle conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, laquelle permet en principe à la caution d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur.

Il y a donc lieu de modifier la jurisprudence et de décider désormais que, si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions précitées du code civil.

La cour d'appel, qui a constaté l'acquisition du délai biennal de prescription de l'action en paiement formée par la banque contre les emprunteurs, a relevé que la caution s'en prévalait pour s'opposer à la demande en paiement formée contre elle.
Il en résulte que la demande en paiement formée par la banque contre la caution ne pouvait qu'être rejetée.

Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION


C’est incontestablement un revirement de jurisprudence que la première chambre civile nous propose.
La nouvelle rédaction des arrêts ne permet plus d’en douter.
Le commentateur Marc MIGNOT est favorable à cette nouvelle approche.
Pour autant de revirement sera d’une portée relativement limitée puisque le nouvel article 2298 du code civil issu de la réforme des suretés dispose: «La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 2293.

Toutefois la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire.»
Les précédents jurisprudentiels allaient en sens inverse: Cassation civile 1. 11 décembre 2019 – 18-16147 - «...Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu qu'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l'article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution ; que le moyen n'est pas fondé ;»

Plus proche de nous (cassation commerciale 6 juillet 2022 – 20-20085 – publié au bulletin) la chambre commerciale nous dit que « ...la clause de conciliation obligatoire et préalable a pour objet de trouver un règlement amiable du litige, ce qui concerne directement le sort de la dette principale, de sorte que le non-respect de cette clause est une exception inhérente à la dette opposable par la caution....»

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

Source: Cass. Première Chambre Civil, 20 avril 2022. Pourvoi n° 20-22866, publié au bulletin.