FAITS

Une société de transport routier travaille avec une autre société de droit néerlandais qui fabrique et commercialise des jeux et des jouets depuis l’année 1996. Le 22 Août 2016 à l’issue d’une procédure d’appel d’offres cette société n’a pas été retenue et la société partenaire lui fait savoir qu’elle cessait ses relations avec elle. La société conteste cette rupture qu’elle juge abusive et réclame une indemnisation correspondant à son préjudice. La société s’y refuse et le transporteur l’assigne devant le tribunal de commerce de Lyon afin qu’elle soit condamnée à lui payer la somme de 500 000 €. Le tribunal consulaire juge que les conditions de l’article L. 442- 6 du code de commerce n’étaient pas réunies et déboute la société de transport de ses demandes. Elle interjette appel.

Le transporteur faisait notamment valoir que la relation avait duré pendant vingt ans et que les appels d’offre aboutissaient systématiquement au renouvellement de son contrat.

A l’inverse la société défenderesse soutenait que le recours systématique à cette procédure d’appel d’offre précarisait par nature la relation.

POSITION DE LA COUR D’APPEL

« En revanche, le recours régulier à des appels d’offres est de nature à conférer à la relation commerciale, quelle que soit sa durée, une précarité exclusive de toute rupture brutale.

Au cas présent, il est établi par les pièces produites que, jusqu’en 2010, les relations entre les parties ont été fixées par des contrats de transport d’une durée déterminée, courant du 1er juin au 30 juin de l’année suivante, déterminant notamment la zone d’intervention de la société Gervais Transports et le prix des prestations.

Mais, à partir de 2010, et y compris pour l’année 2015, la société Hasbro France a mis en œuvre une procédure d’appel d’offres annuelle, à laquelle la société Gervais Transports a systématiquement participé…..

L’existence d’appels d’offres annuels à compter de 2010 n’est toutefois pas contestée par la société Gervais Transports et est de surcroît confirmée par les pièces versées aux débats par l’intimée, notamment les échanges entre les parties y faisant référence, ainsi que le tableau de résultat d’appel d’offres pour 2010.

Cette procédure a modifié la nature des relations entre elles en les précarisant. Si, à l’issue de ces appels d’offres, la société Gervais Transports a vu sa collaboration constamment reconduite jusqu’en 2016, il n’en demeure pas moins que l’existence même de ces appels d’offres a généré chaque année un aléa, qui ne lui permettait pas d’avoir une croyance légitime dans sa pérennité.

En conséquence, le fait qu’elle n’ait pas été retenue à la suite de l’appel d’offres de mars 2016, pour les prestations de transport, et de l’appel d’offres de juillet 2016, pour la partie messagerie, ne caractérise pas la rupture brutale d’une relation commerciale établie entre les deux sociétés. C’est dès lors sans engager sa responsabilité que la société Hasbro a mis fin à leur collaboration par un courriel du 22 août 2016 pour des raisons de « compétitivité tarifaire» .

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la société Gervais Transports au titre de la rupture brutale de la relation commerciale. »

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Le recours à la procédure d’appel d’offre est fréquemment utilisé pour se séparer d’un partenaire à moindre frais. C’est ce que prétendait le demandeur.

La cour ne l’entend pas ainsi et juge qu’à partir du moment ou cette procédure est appliquée systématiquement ou du moins depuis temps assez long alors elle précarise naturellement la relation et est donc exclusive de tout droit au renouvellement du contrat et par voie de conséquence ne permet pas l’application de l’article L 442-6, I,5° du code de commerce.

Le temps n’est donc pas par nature salvateur, du moins si la procédure qu’il met en œuvre est, par nature, aléatoire ce qui est le cas de la procédure d’appel d’offres.

La modélisation proposée par Case Law Analytics dans son contentieux « rupture brutale d’une relation commerciale établie » gère cette situation et permet donc ainsi l’approche la plus fine du risque de chacune des parties de judiciariser sa relation.

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics

Source : CA Paris, pôle 5 chambre 5, 15 avril 2021, RG 18/15899

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