Dans ce troisième article de notre série Intelligence artificielle et droit : « Questions éthiques », nous vous proposons de découvrir le point de vue d’un chef de juridiction.

On enseigne classiquement qu’un chef de juridiction exerce trois fonctions : il organise son tribunal, il le représente, et il est à lui seul une juridiction. Dans l’organisation de son tribunal une tâche délicate lui incombe, indirecte mais primordiale : faire que les justiciables aient confiance dans leur justice.

A ce propos, un des paramètres que les justiciables savent nous reprocher est le manque d’uniformité de la jurisprudence, tout en se plaignant de son uniformité et de son manque d’esprit novateur, souvent selon qu’ils aient gagné ou perdu leur procès.

La jurisprudence d’une juridiction et l’indépendance des magistrats

Nos magistrats sont indépendants. Ils y tiennent et c’est un des piliers de notre démocratie. Ils jugent en toute liberté et en toute indépendance. Pour autant ils ne jugent pas en « état d’apesanteur » et savent bien que leur décision va s’inscrire dans un contexte culturel, sociologique, économique, dans une jurisprudence plus ou moins proche, plus ou moins semblable. Leur première préoccupation est de faire se rencontrer les faits et le droit. Trop d’intellectualisme mettra inévitablement de la distance entre les deux composantes et un regard trop factuel ne permettra pas d’inscrire sa décision dans un mouvement d’ensemble.

Pour concilier l’indépendance de nos juges et le fait de s’inscrire dans un contexte qui cimente la vie sociale, un chef de juridiction dispose de plusieurs outils : la formation, l’expérience et bien sûr jurisprudence et doctrine. Ces trois outils sont indissociables. En formation nos enseignants nous distillent leur expérience, celles des autres par le biais de la jurisprudence sans oublier celles et ceux qui pensent nos figures juridiques.

Pour autant, si l’action passée de nos anciens et leur jurisprudence nous éclairent la voie possible, elles ont plus de mal à nous indiquer les bornes : cette fonction appartient classiquement à la doctrine.

Pour être certain des limites à ne pas franchir sous peine de discréditer sa décision il faut que celles-ci soient lisibles, convaincantes, charpentées et pour cela elles doivent se nourrir d’un nombre important de décisions. En tout cas plus important que ce que notre cerveau peut mémoriser.

Le chef de juridiction et l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle présente un avantage incontestable par rapport aux autres outils à la disposition des humains c’est sa « puissance de feu ». Elle est capable de mémoriser, de conceptualiser et de faire que des solutions proposées soient une synthèse, incontestable, objective, des expériences passées.

La restitution que nous fait cette intelligence en une fraction de seconde a quelque chose de vertigineux mais de vertueux. Vertigineux car l’intelligence artificielle dans le domaine du droit est capable de mémoriser et d’analyser des milliers de décisions, de se souvenir des situations typiques ou atypiques et surtout de les inscrire dans des bornes.

Mais son principal intérêt ne réside pas dans sa puissance de feu, si grande soit elle. Elle se situe dans son caractère vertueux. Car la principale vertu de certaines intelligences artificielles résulte du caractère non violent de leur restitution.

Case Law Analytics propose, après qu’une requête reprenant les informations factuelles et judiciaires ait été remplie, non pas une solution, mais une distribution de solutions représentée par le graphe ci-dessous :

Cette distribution de solutions représente deux choses : d’une part, la diversité des solutions possibles car plusieurs juges ne pensent heureusement pas de la même façon mais aussi, et c’est unique, cette distribution est une image fidèle du moment trop peu souvent cité ou analysé qu’est le délibéré. Le délibéré est le moment où les avis, expériences, cultures, convictions ou hésitations de plusieurs juges (en général trois) vont se confronter aux réalités factuelles de leur dossier.

Souvent plusieurs avis vont être exprimés et pour autant la décision sera unique, univoque et ne reflétera que très rarement le délibéré.

Case Law Analytics nous propose ce délibéré dans sa distribution de solutions tant dans l’entrée en voie de condamnation via une « barre de progression » telle que celle présentée ci-dessous :

que dans les montants via les graphiques suivants :

Il le met à nu dans sa diversité. Si la décision est univoque, la solution que nous propose l’intelligence artificielle est équivoque. Elle nous invite à la réflexion. Elle nous permet de voir les limites de chaque raisonnement, de chaque conviction. Elle permet aussi de voir si la décision s’inscrit dans un mouvement d’ensemble et en cela elle contribue à unifier notre jurisprudence tout en nous rappelant que les convictions sont fragiles.

Pour cette raison l’intelligence artificielle que propose Case Law Analytics est une alliée sur laquelle un chef de juridiction, comme tout juge, peut s’appuyer en toute confiance car elle s’instruit d’un nombre impressionnant de situations similaires sans pour autant nous enfermer dans un chemin unique.

Bien au contraire, cinq années de pratique de ce nouvel outil m’ont amené à une certitude : l’intelligence artificielle, bien construite et vertueuse, nous invite à la réflexion et au dialogue.

Et vous, quel est votre point de vue ?

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics